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trict par le bureau, et envoyé ensuite au chef-lieu, où la députation provinciale, renforcée d’un électeur par district, réunit tous les votes de la province, et dresse le résultat général. Ce mode défectueux avait donné lieu jusqu’ici à de grands abus. Les bureaux ne s’étaient pas toujours montrés scrupuleux dans leurs dépouillemens. On s’est plaint souvent que le nombre des voix était fixé d’une manière arbitraire, et que les bulletins n’étaient pas tous lus comme ils étaient écrits. Ces scandales se sont reproduits cette année sur quelques points où les bureaux étaient dans l’intérêt du parti vaincu : à Madrid, par exemple, plusieurs protestations ont eu lieu séance tenante ; mais dans le reste de l’Espagne, partout où le parti parlementaire a eu le dessus, on n’a entendu parler de rien de pareil.

Nous n’avons pas ouï dire non plus qu’il y ait eu nulle part quelqu’une de ces violences si familières dans d’autres temps aux prétendus progressistes. On se rappelle les bastonnades patriotiques des premiers temps de la régence, les injonctions faites aux électeurs de tel ou tel parti de ne point se présenter pour voter, les urnes du scrutin renversées et foulées aux pieds par l’émeute quand elle prévoyait un résultat qui lui déplaisait, enfin les coups de feu tiré dans l’enceinte même, et les électeurs frappés de mort au moment où ils s’apprêtaient à déposer leur suffrage. Toutes ces gentillesses révolutionnaires ont disparu avec les ayacuchos. Dieu veuille qu’elles ne reviennent plus, et que les mœurs électorales de l’Espagne soient définitivement formées !

Enfin les reproches faits habituellement à la composition des listes électorales ne paraissent pas applicables cette fois. Il n’y a pas, à proprement parler, de listes électorales en Espagne. Ce sont les ayuntamientos qui les forment arbitrairement la veille de l’élection. Comme le cens est extrêmement bas, on peut y faire entrer à peu près qui l’on veut, et, comme il n’y a pas de recours efficace, on peut aussi en éliminer qui l’on ne veut pas. Les municipalités avaient, dit-on, largement usé jusqu’ici de cette double faculté. C’est ce qui expliquait pourquoi les élections étaient toujours faites dans leur sens. Lors des dernières élections, le parti militaire y avait fait fort peu de façons. À Badajoz on avait inscrit sans se gêner, parmi les électeurs, tout un bataillon du régiment en garnison, et les soldats étaient venus par ordre au vote comme à l’exercice. Ce fait constaté en pleines cortès a fait casser l’élection de Badajoz. Nous n’avons pas appris que Narvaez, qu’on dit si terrible, ait imité en ceci l’exemple de Rodil.