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REVUE DES DEUX MONDES.

Plus il aurait poussé loin la confiance et l’aveuglement, plus il serait implacable dans son ressentiment et terrible dans sa vengeance. C’est une de ces ames inflexibles dans leur droiture, qui pardonnent d’autant moins, que pour leur propre compte elles n’ont pas besoin d’indulgence. Il aime sa femme, j’en ai la conviction, d’un amour plus profond et plus vrai que n’a jamais été le tien. Outragé dans son honneur et blessé dans son affection, j’ignore à quel parti il se résoudrait ; mais à coup sûr ce ne serait point à la résignation. Je l’ai vu dernièrement ; il m’a semblé tristement préoccupé de l’état maladif de la comtesse. Je lui ai conseillé les eaux et les voyages. Il y avait songé ; mais la comtesse s’y refuse. C’est fâcheux : un petit voyage au Spitzberg aurait bien fait ton affaire. Bref, c’est là qu’en sont les choses. Pousse au dénouement : j’ai hâte de nous savoir sortis de cette maudite galère.

FERNAND DE PEVENEY À KARL STEIN.

Il semble qu’en retournant à Mondeberre j’ai remonté le cours de ma jeunesse et ressaisi par le bout de leurs ailes mes années envolées. Mon cœur se délasse et s’apaise ; je n’entends plus en lui que le roulement sourd de la tempête qui s’éloigne. Souvent j’ai vu la Sèvres, grossie par les pluies d’orage, déborder et couvrir de limon et de sable nos champs et nos guérets ; ce n’était qu’en rentrant dans son lit qu’elle reprenait, au bout de quelques jours, la transparence de ses ondes : c’est l’image de ma destinée. Quoi que tu puisses dire, je vivrai sous ce coin de ciel ; la réflexion, mes instincts et mes goûts, tout m’y fixe et tout m’y enchaîne. Je ne serai pas inutile au bien-être de ces campagnes. Je me suis écrié d’abord, comme Alexandre, que mon père ne m’avait laissé rien à faire ; mais, en y regardant de plus près, j’ai compris que dans la voie des améliorations, quelle qu’en soit d’ailleurs la nature, le mieux est toujours à trouver. Je fais de grands projets ; si je parviens à en réaliser quelques-uns, ma vie n’aura pas été stérile. Je fais aussi de doux rêves ; s’ils ne m’échappent pas tous, ma vie n’aura pas été sans bonheur. Tu le vois, c’est un parti pris : déjà je construis des granges, je plante des peupliers, j’ouvre des chemins vicinaux. Cette activité du corps me repose des fatigues de l’ame. Tous ces détails de la vie rustique, au milieu desquels je me suis élevé, me charment et m’attirent au-delà de ce que je pourrais exprimer. La terre est bonne à ceux qui l’aiment et qui