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SITUATION DE L’ESPAGNE.

sur le terrain constitutionnel. Nous avons indiqué dans cette Revue la naissance de ce projet de conciliation, nous l’avons suivi dans ses progrès, nous avons aujourd’hui à le montrer à son apogée. Il serait puéril d’espérer que les luttes ne recommenceront pas quelque jour : la rivalité des personnes est dans l’essence même du gouvernement constitutionnel et dans la nature du caractère espagnol ; mais, quoi qu’il arrive, ce rapprochement n’aura pas été sans conséquences, il aura donné à l’Espagne le sol politique qui lui manquait. C’est le seul bienfait dont le pays sera redevable à l’administration du duc de la Victoire.

Les modérés et les exaltés ont eu successivement le gouvernement ; les uns et les autres y ont succombé. Le triomphe des modérés a abouti à la révolution de septembre qui les a exclus ; le règne des exaltés s’est perdu dans le despotisme militaire qui les a joués. Voyant qu’ils n’avaient pu gouverner séparément, ils ont voulu essayer de gouverner de concert. Rien ne rend accommodant comme le sentiment de son impuissance, surtout quand l’amour-propre est sauvé par le sentiment égal de l’impuissance d’autrui. Il a fallu dix ans d’expérience pour en venir là ; ce n’est pas trop. À l’origine d’une période politique, chacun croit en soi exclusivement ; c’est alors le temps des illusions, des espérances ambitieuses, des promesses confiantes pour soi et les siens ; c’est aussi le temps du dédain, de la colère et de la haine, contre quiconque ne marche pas dans la même voie. Dix ans après, tout est bien changé. Chacun s’est essayé et s’est trouvé plus faible qu’il ne croyait ; chacun aussi a essayé son adversaire et l’a trouvé plus fort qu’il n’aurait cru ; on se connaît réciproquement pour s’être éprouvés, pour avoir été tour à tour battus et battans, vaincus et vainqueurs, et on a les uns envers les autres le ton moins haut et le cœur moins passionné.

On sait notre prédilection pour les modérés. Nous conservons toute notre préférence pour ce parti, qui nous paraît le plus éclairé, le plus honorable, le plus véritablement libéral de l’Espagne. Nous ne prétendons pourtant pas nier qu’il n’ait fait des fautes, et de grandes fautes. Son principal défaut, nous devons le dire, a été la présomption. Comme il se sentait la supériorité de l’intelligence, de la fortune et du nombre, il n’a pas tenu assez de compte des influences non moins puissantes qu’il avait contre lui. En temps de révolution, si l’intelligence est une force, l’ignorance en est une aussi, et l’esprit le plus cultivé est souvent forcé de céder devant la passion la plus irréfléchie. De cela seul qu’une idée soit absurde, im-