Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/261

Cette page a été validée par deux contributeurs.
255
HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

pas d’ordinaire chez M. Magnin de points de vue bien dominans ni de masses bien détachées ; on a plutôt la richesse, la fertilité et le détail infini d’une Hollande ; la Hollande, ç’a été la patrie et le berceau de cette critique moderne, de celle qui fait les bons journaux.

Il en possède toutes les qualités primitives, fines et saines, menues et solides, l’intégrité qu’il faut bien louer, tant elle devient chose rare ! cette attention à tenir la balance et à peser vingt fois le même objet (c’est la probité du genre), une bienveillance ferme et qui sait les limites, l’absence de toute envie, une sorte de simplicité qui a pourtant beaucoup vu, et qui est plus portée à regarder qu’à s’étonner. Son érudition très complète et très déliée nous rappelle qu’il est aussi le critique-bibliothécaire. Sur chaque question, il se plaît à savoir, et il s’inquiète d’abord de trouver ce qui a été écrit. Cette première recherche a déjà de quoi apaiser et amortir la curiosité, de quoi remettre à sa place le présent. Rien n’est capable d’ôter l’ivresse de la nouveauté comme la vue d’une grande bibliothèque ; c’est proprement le cimetière des esprits. Le grand bibliothécaire par excellence, Gabriel Naudé, en parle étrangement en son style plus énergique qu’élégant : « Les bibliothèques, dit-il, ne peuvent mieux être comparées qu’au pré de Sénèque, où chaque animal trouve ce qui lui est propre : Bos herbam, canis leporem, ciconia lacertam[1]. » Et arrivant à la connaissance des livres des novateurs, il la conseille en temps et lieu, comme fournissant à l’esprit une milliasse d’ouvertures et de conceptions, le faisant parler à propos de toutes choses, et lui ôtant l’admiration, qui est le vrai signe de notre faiblesse. Gabriel Naudé nous dit là son goût de penseur hardi et sceptique, il nous trahit son gibier favori et ce qu’il aime, sans préjudice des autres pièces ; philosophe vorace, il lit tout, il y attrape des milliasses de pensées, et les enveloppe à son tour dans quelqu’un de ces écrits indigestes et copieux, vrai farrago, mais qui font encore aujourd’hui les délices de qui sait en tirer le suc et l’esprit. M. Magnin, bien que très bibliothécaire aussi, n’est pas de cette classe, et son lièvre plus rare a, si j’ose dire, la patte plus blanche. À travers ce vaste champ de connaissances où sa condition l’a jeté, il s’est orienté de bonne heure ; furet et gourmet, il suit ses lignes sans en sortir, sans s’égarer ; il choisit et range à bonne fin le grain et la perle. Il lit, plume en main, et dans un but. Ceci revient à dire que M. Magnin est écrivain, qu’il en a les qualités, le goût, un peu l’en-

  1. Avis pour dresser une bibliothèque.