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historiques se succèdent à vue d’œil, les manières diverses chez les mêmes écrivains se prononcent et se déplacent avec une confondante rapidité. Dans de telles conjonctures, la critique a souvent, ce me semble, à marquer les temps, à battre les changemens de mesure, à dénoncer les reviremens. Chaque œuvre, chaque écrivain, en définitive, lorsqu’on les a suffisamment approfondis et retournés, peuvent être qualifiés d’un nom ; il faut que ce nom essentiel échappe au critique, ou du moins que le lecteur arrive de lui-même à l’articuler. M. Magnin ne l’y aide pas toujours assez dans l’agrément de ses dissertations instructives. Comme un homme qui a beaucoup vu de livres et qui sait mieux que personne à combien peu tiennent en ce genre les destinées, et quelle infiniment petite différence il y a bien souvent entre un livre qui vit, dit-on, et tel autre livre qui passe pour mort, M. Magnin ne se montre pas trop empressé de dire : Ceci est bon, et ceci est mauvais. On l’a tant fait, et à la légère, qu’on a été guéri pour long-temps de ce rôle sentencieux.

Quoi qu’il en soit, pour insister sur un point capital de l’histoire littéraire de ces dernières années, je suis de ceux qui estiment que l’école dite romantique a été dissoute par le fait même de la révolution de juillet. Dès le lendemain, je crois m’en être ouvert en ce sens avec le plus illustre des chefs d’alors. Ce jour-là, une nouvelle question littéraire était posée, ou du moins la précédente ne l’était plus. Je ne trouve pas que l’ingénieux critique se soit rendu compte ainsi de la différence des situations, et cela a pu jeter quelque indécision sur des aperçus toujours piquans de détails et si heureux d’expression.

Puisque j’en suis avec lui à des observations de ce genre, il en est une qu’il me permettra encore ; ce n’est guère que la même un peu autrement retournée. Cette qualité d’indifférence que nous avons notée chez M. Magnin, en ayant bien soin de la définir, a naturellement des conséquences qui influent sur l’ensemble de sa manière. Il est des critiques qui entrent et tombent, pour ainsi dire, dans un sujet comme un fleuve qui descend des montagnes : les masses, les points de vue, les horizons, distinguent, encadrent et accentuent de toutes parts le paysage. Ainsi fait, par exemple, dans son cours de Littérature dramatique, le grand critique Guillaume Schlegel, exclusif et majestueux. Mais, quand le fleuve n’a pas reçu une pente aussi décidée, quand il coule plutôt entre des digues et par des bras habilement et activement ménagés, l’aspect du paysage ne peut être que très différent. En d’autres termes, on ne rencontre