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FERNAND.

nous abordant ; la jeune fille se souvenait sans doute, et peut-être était-elle confuse des larmes qu’avait versées l’enfant. Moi-même je me sentais troublé. C’est qu’en effet, pour un homme encore jeune, je ne sais rien de plus troublant que de retrouver ainsi, dans tout l’éclat et dans toute la gloire de ses belles années, l’enfant qu’on a jadis aimée avec toutes les familiarités d’une tendresse fraternelle. Si de son côté la jeune fille n’a rien oublié, la gêne est égale de part et d’autre, et la position doublement embarrassante. On se rappelle qu’on a joué ensemble sur les pelouses, qu’on s’est aimé, qu’on se l’est dit en toute liberté comme en toute innocence, et l’on est là, tremblant et rougissant, ne sachant quelle contenance garder ni comment concilier les rapports familiers du passé avec la réserve mutuelle qu’on doit s’imposer désormais. Mme de Mondeberre comprit ce que la situation avait de difficile ; elle nous en tira avec sa grace accoutumée.

Alice est l’image de la jeunesse de sa mère. Mme de Mondeberre est si belle encore et si jeune, qu’en la voyant près de sa fille on les prendrait pour les deux sœurs. En me retrouvant près de ces deux charmantes femmes, dans ce parc où rien n’est changé, il m’a semblé que je ne m’en étais jamais éloigné, et que j’avais rêvé l’absence et la douleur. Il suffit de revoir un instant les lieux et les êtres aimés pour combler aussitôt l’abîme qui nous en a long-temps séparés. Tu penses cependant à combien de questions il m’a fallu répondre. On eût dit que j’arrivais des lointains pays. Pour ces deux chastes créatures qui n’ont jamais quitté leur nid, n’arrivais-je pas en effet des contrées lointaines ? J’ai parlé de Paris, et vaguement des ennuis qui m’y avaient assailli ; j’ai dit mon dégoût du monde, ma résolution de vivre désormais dans le domaine de mes pères. Puis est venu mon tour d’interroger. J’ai demandé quels grands évènemens s’étaient passés à Mondeberre durant mon absence. On m’a répondu en souriant que les lilas avaient fleuri sept fois, et que les marronniers qui balançaient leurs panaches blancs sur nos têtes avaient sept fois changé de feuillage. Ainsi causant, nous allions à pas lents, le cœur plein d’une douce joie, et recueillant, comme des pervenches, le long des allées les frais souvenirs que nous y avions semés autrefois.

Sur le soir, nous avons gagné le château ; j’ai respiré, en y entrant, je ne sais quel bon parfum d’honnêteté, d’ordre et d’innocence, qui m’a reporté délicieusement aux meilleurs jours de mon jeune âge. J’ai tout revu, tout reconnu : les mêmes meubles étaient encore à la