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Mme de Mondeberre et sa fille se tenaient assises sur le bord d’une pièce d’eau située à l’extrémité du parc, petit lac ombragé de saules, qu’alimentait le cours habilement détourné de la Sèvres, et qu’animaient les évolutions de deux cygnes. Alice était inquiète, agitée ; sa mère l’observait avec complaisance, et se plaisait à prolonger ce trouble et ce malaise dont elle avait le secret dans son cœur et la guérison sous la main. Après avoir causé de toutes choses, excepté de celle qui les préoccupait toutes deux, Mme de Mondeberre sut adroitement amener l’entretien sur un terrain qu’Alice n’abordait jamais sans humeur et sans impatience. Après l’y avoir attirée par d’insensibles détours :

— Mon enfant, ajouta-t-elle, au risque de t’irriter, et dussé-je passer à tes yeux pour la plus prêcheuse des mères, j’en reviens à dire que ton cousin Gaston a raison. Il n’est pas juste, il n’est pas convenable qu’une belle et charmante fille comme mon Alice ensevelisse dans la solitude les plus belles années de sa jeunesse. Toute ame ici-bas a ses destinées à remplir ; nulle ne saurait s’y dérober sans faillir à la mission qu’elle a reçue de Dieu.

— Quelles destinées ? quelle mission ? répondit Alice avec vivacité. Dieu ne m’a donné d’autre mission que de t’aimer et de le servir.

— Oui, tu es une fille adorable ! s’écria Mme de Mondeberre avec effusion ; mais, chère enfant, cela ne suffit pas. Il est des devoirs, des joies et même des douleurs auxquels toute créature doit se soumettre sous peine de manquer à sa destination. Aimer, se dévouer et souffrir, c’est, mon enfant, la commune loi.

— Aimer ? dit Alice ; est-ce que je ne t’aime pas ? Se dévouer ? est ce ma faute, si tu m’as fait le dévouement si facile ? Souffrir ?…

À ce mot, elle s’interrompit et n’acheva pas ; son jeune sein se souleva, et deux larmes brillèrent au bout de ses longs cils.

— Tiens, ma mère, reprit-elle presque aussitôt, laissons là toutes ces subtilités auxquelles je n’entends rien. Je vois seulement où tu veux en venir. Je ne m’irrite pas de ton insistance, parce que rien de toi ne saurait m’irriter ; mais si tu veux que je te le dise, mon cœur en gémit, et ma tendresse s’en alarme. Mon amour t’est donc à charge, que tu es si impatiente de le partager ? Elle te pèse donc bien, cette vie à deux qui me paraît, à moi, si légère ? Va, tu n’es qu’une ingrate qui ne sait pas aimer ! ajouta-t-elle en s’abandonnant avec une molle résistance aux bras caressans qui s’empressèrent de l’enlacer.

— Allons, pardonne-moi, dit Mme de Mondeberre. Après tout,