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moyen honnête de composer avec son passé et de transiger avec ses remords.

— Madame, répondit-il, la sagesse et la bonté s’expriment par votre bouche. Je vous admire autant que je vous aime. Si je ne cédais qu’à la voix de mon cœur, je serais déjà à vos pieds ; mais j’ai traversé tant de mauvais jours, mon ame en est encore si remplie de trouble et d’effroi, qu’avant d’accepter le bonheur, je vous dois d’examiner si j’en suis digne. Si demain je ne reviens pas, pleurez sur moi, madame, car je vous aurai vue ce soir pour la dernière fois. Si je reviens, ouvrez les bras à votre fils.

— Allez, mon enfant, ajouta Mme de Mondeberre avec mélancolie ; si vous ne revenez pas, ce n’est pas seulement sur vous que mes larmes devront couler.

Fernand passa la nuit qui suivit ce court entretien dans une agitation qu’il est aisé d’imaginer. Il descendit impitoyablement en lui-même ; ce qu’il y vit de plus clair, c’est qu’il aimait Mlle de Mondeberre. L’amour est ingénieux et fécond en ressources de toute nature. Après s’être laissé outrager par l’ombre irritée d’Arabelle, M. de Peveney se laissa doucement attirer par l’image souriante d’Alice. Il alla d’abord de l’une à l’autre, ne sachant à laquelle des deux se rendre : il finit par s’abandonner insensiblement sur la pente des espérances. Il déploya un art infini à grouper tous les raisonnemens qui pouvaient l’excuser à ses propres yeux. N’avait-il pas assez souffert ? le châtiment n’avait-il pas dépassé la faute ? devait-il sacrifier sa vie tout entière à un passé irréparable ? Après s’être attendri sur lui-même, il s’attendrit sur Mlle de Mondeberre. Il se demanda avec sévérité s’il pouvait se regarder comme dégagé de toute réparation envers cette enfant dont il avait si fatalement entamé la destinée ? Était-il juste de soumettre au martyre de l’expiation cette virginale beauté ? fallait-il entraîner dans le naufrage de la passion cette ame chaste et pure qui n’avait jamais cherché les orages ? Et Mme de Mondeberre, ne lui devait-il rien ? Cette femme si noble et si généreuse, cette mère si tendre et si dévouée, la condamnerait-il à voir la jeunesse de sa fille pâlir et se consumer dans les larmes ? Toutes les réflexions qu’il aurait dû faire trois ans auparavant, il les fit à cette heure. Il érigea ses penchans en devoirs pour s’y livrer sans remords. Il déplaça sa conscience, qui devint ainsi complice de son cœur. Puis il appela à son aide Karl Stein, avec qui, depuis quelques semaines, il avait renoué les relations long-temps interrompues. Il relut toutes les lettres qu’il avait reçues de lui en