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FERNAND.

erre comme une ombre en peine. On n’est plus chez soi, et pourtant l’on n’est pas ailleurs. On supporte d’autant moins patiemment le poids des heures oisives qu’on s’était préparé par avance au mouvement et aux distractions du voyage. C’est là du moins ce qui arriva pour M. de Peveney. Il n’eut pas atteint le milieu de la journée, qu’il se sentit pris d’une impatience fiévreuse et d’un besoin d’agitation qu’il ne sut comment satisfaire. Il se décida à monter son cheval, dont il n’avait pu consentir à se débarrasser. Une fois en selle, où aller ? Peu lui importait. Il lâcha la bride au coursier, qui, fidèle à ses anciennes habitudes, le conduisit droit à Mondeberre.

Cette fois encore M. de Peveney capitula avec sa conscience. Songeait-il à renouer des relations à jamais brisées ? sa résolution n’était-elle pas irrévocablement arrêtée ? ne devait-il pas, sous peu de jours, s’éloigner pour ne plus revenir ? D’ailleurs il n’était plus temps de retourner en arrière. Déjà Ramponneau battait le pavé de la cour du château, et une fenêtre venait de s’entr’ouvrir pour laisser passer la tête d’Alice.

Cette entrevue différa de celle de la veille en ce que les cœurs s’y montrèrent moins silencieux et plus à l’aise. On ne toucha ni au passé ni à l’avenir ; on se complut de part et d’autre dans la mélancolie de l’heure présente. On s’entretint longuement de la visite de Karl Stein. Fernand parla de ses voyages avec un sentiment de tristesse qui, aux yeux de Mlle de Mondeberre, le revêtit d’un prestige de plus. Mme de Mondeberre le retint à dîner. Il s’en défendit d’abord ; puis il se dit qu’ayant dû partir le matin, il manquerait de tout à son gîte. Gaston se présenta sur le soir. En revoyant M. de Peveney, dont le souvenir ne l’avait pas occupé six minutes en trois ans, il témoigna une joie bruyante et l’embrassa avec effusion. Sur ces entrefaites arrivèrent deux ou trois gentilshommes du voisinage. La conversation s’engagea. À cette époque, la politique agitait fort les esprits en Bretagne. On discuta les questions du jour. Indifférent d’abord à ce qui se disait autour de lui, Fernand en vint bientôt à se mêler à l’entretien. Il finit par s’y oublier et par goûter à cette discussion d’intérêts positifs un charme qui lui parut tout nouveau. Au choc des idées, il sentit se réveiller et vibrer dans sa poitrine les nobles instincts que le trouble des passions y avait long-temps étouffés, l’amour de la patrie, la haine de l’injustice, le culte de la vérité, l’enthousiasme qu’allume chez les ames bien nées toute action grande et généreuse. Il comprit qu’il est pour l’ambition de l’homme des