Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
228
REVUE DES DEUX MONDES.

ignorait leur destinée et ne doutait pas qu’Alice ne fût mariée. Il voulait seulement entrevoir dans l’ombre les abords de la patrie d’où il était pour jamais exilé.

À la tombée de la nuit, il prit, comme autrefois, le sentier du bord de l’eau. Qui pourrait dire les pensées qui l’assaillirent le long de ces traînes ? Ce n’était plus, comme à son premier retour, la fatigue d’une ame désabusée, mais jeune encore et prête à refleurir au premier souffle caressant ; c’était le terne désespoir d’une ame flétrie par le remords, et que ne charmait même plus la poésie des souvenirs. Il marchait à pas lents et le front baissé, indifférent aux beautés de cette nature qu’il avait jadis tant aimée. Il avait tout perdu, jusqu’à la faculté de pleurer et de s’attendrir sur lui-même. Cependant ses yeux commençaient à chercher les tourelles de Mondeberre, quand tout à coup, en aspirant l’air, il reconnut le parc et le château aux senteurs qui s’en exhalaient. Ainsi les lieux où nous avons goûté le bonheur ont, comme la terre natale, un parfum qui leur est propre et qui nous saisit et nous pénètre aussitôt que nous en approchons. En effet, au détour du sentier, Fernand aperçut la masse du manoir qui se détachait sur l’azur du ciel et les panaches blancs des marronniers qui se balançaient à la lueur des étoiles. À ces aspects, il se sentit près de défaillir. Les fenêtres du salon étaient éclairées ; il demeura quelques instans devant la façade à suivre d’un regard éperdu les évolutions d’une ombre svelte et gracieuse qui se dessinait sur la mousseline des rideaux. Il eut le courage de s’arracher à cette contemplation. Il s’éloignait, lorsqu’en passant devant la petite porte du parc, il fut arrêté de nouveau par une invisible puissance. Long-temps il hésita ; il crut voir gisant sur le seuil le cadavre d’Arabelle qui lui en barrait le passage. Il s’enfuit et revint sur ses pas. Bref, s’il n’eut point la force d’entrer, il en eut la faiblesse ; il entra.

Ses jambes se dérobaient sous lui et le soutenaient à peine. La soirée était trop froide et trop avancée pour qu’il pût craindre de rencontrer Mme de Mondeberre ou sa fille. Il alla s’asseoir sur le banc de pierre qu’abritaient, comme autrefois, les touffes embaumées des lilas et des faux ébéniers. Il était perdu depuis près d’une heure dans un abîme de réflexions, lorsqu’il entendit un bruit de voix et un frôlement de robes qui paraissaient se diriger vers lui. Il se leva, et n’eut que le temps, pour ne pas être vu, de se cacher derrière le massif de fleurs et de verdure. À la clarté bleue des étoiles, moins encore qu’au cri de son ame, il reconnut Alice et Mme de Monde-