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FERNAND.

pour ainsi dire une quarantaine morale ; il me semble, encore à cette heure, que je vais y retrouver le fantôme de ma jeunesse, qui refusera de me reconnaître et s’enfuira d’un air irrité.

LE MÊME AU MÊME.

Hier donc, après t’avoir écrit, je suis parti pour Mondeberre. J’ai fait la route au pas de mon cheval, lentement, religieusement, ainsi que se font les pèlerinages. Le ciel gris et voilé s’harmoniait avec les dispositions de mon ame. J’ai suivi les sentiers que suivait autrefois ma jeunesse ; j’ai reconnu tous les bouquets d’arbres, tous les buissons en fleurs, tous les accidens du paysage ; il n’y avait que moi de changé. J’aperçus bientôt, à travers le feuillage, les tours noircies du château féodal, la plate-forme ombragée d’ormeaux, les pans de mur habillés de lierre. À ces aspects, j’ai senti plus profondément ma misère et ma déchéance ; j’ai pleuré sur moi-même et me suis abîmé dans la mélancolie des jours mal employés. Ainsi, j’allais comme autrefois, plein de trouble, le long de ces haies ; seulement, au lieu du trouble poétique et charmant qui remplit d’harmonies et d’images gracieuses le matin de l’existence, je traînais avec moi cette morne inquiétude, cette lourde fatigue que laisse après elle la passion désabusée.

Je mis pied à terre à la petite porte du parc et j’entrai. Aussitôt je me sentis enveloppé d’ombre et de silence. Il me sembla que je retrouvais un Éden depuis long-temps perdu et regretté, et dans ce court enivrement j’oubliai les douleurs de l’exil.

Après avoir erré çà et là, j’allai m’asseoir sur un banc de pierre, à demi caché sous un massif d’ébéniers et de lilas qui secouaient à l’entour leurs grappes embaumées. J’étais plongé depuis près d’une heure dans mes souvenirs, lorsque j’entendis le frôlement d’une robe et le bruit d’un pied léger sur le sable fin de l’allée. Je levai la tête et vis, à quelques pas de moi, Mme de Mondeberre, non pas comme autrefois, pâlie par la douleur, austère et grave, ainsi qu’il sied aux veuves, mais fraîche, souriante et parée, comme la nature, de toutes les graces du printemps. C’était bien son front intelligent et fier, mais rayonnant cette fois du doux éclat de la jeunesse ; c’étaient ses beaux yeux bleus, moins les larmes qui en avaient terni l’azur ; c’était sa noble démarche, moins les chagrins qui l’avaient brisée. Ses cheveux blonds, qu’autrefois elle cachait sévèrement comme un luxe