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réflexions, je sentis une main sèche et brûlante s’appuyer brusquement sur les miennes. Je me réveillai en sursaut et me trouvai face à face avec Arabelle, qui me contemplait d’un air étrange. — Fernand, me dit-elle d’une voix calme et pourtant terrible, encore un peu de patience ! nous n’avons plus long-temps à souffrir. — Que voulez-vous dire ? m’écriai-je. — Si vous me regardiez, vous me comprendriez, ajouta-t-elle en repoussant ma main avec une énergie farouche. — Je la regardai : ses yeux étaient caves, ses paupières mâchées et sanglantes ; la pâleur de sa figure reluisait sous le feu de la fièvre qui l’embrasait sans la colorer. — Vous souffrez ? m’écriai-je. — Elle ne répondit que par un geste de dédain, croisa ses bras sur sa poitrine, et se tint muette dans son coin. Je ne pus, le reste du jour, lui arracher une parole ni même un regard. D’ailleurs, pas une larme, pas un sanglot, pas un soupir ; inflexible comme le bronze ! Cependant je sentais, j’entendais pour ainsi dire, le travail de son ame qui minait sourdement son corps. J’observais avec terreur les rapides progrès du mal. Un sinistre pressentiment me mordit au cœur. Il me sembla que le ciel, pour me punir, allait exaucer les souhaits abominables que je lui avais parfois adressés. Je la pris dans mes bras. Elle n’essaya point de se dégager, mais elle demeura insensible sous mes étreintes. — Arabelle, m’écriai-je encore, quelle fatale pensée vous absorbe ? Je vous aime et ne vis que pour vous. Mon amie, vous avez beaucoup souffert ; mais ayez foi en des jours meilleurs. Vous m’avez vu souvent injuste et cruel ; je veux réparer à force de soins tous les maux que je vous ai causés. Cette tâche me sera douce ; je ne vous demande que de me sourire et de ne point décourager ma tendresse. Laissez-moi croire que tout n’est pas désespéré et que je puis guérir les blessures que j’ai faites ; ne m’interdisez pas la conquête de votre bonheur. — Je lui parlai long-temps sur le même ton, d’une voix émue et d’un cœur sincère. Il me fut impossible de vaincre l’obstination de son silence ; seulement, tandis que je parlais, ses lèvres étaient agitées par un mouvement convulsif, et ses yeux brillaient d’un funeste éclat. Ne sachant qu’imaginer, je finis par attribuer cet état à l’exaltation de la fièvre, et ce redoublement de fièvre à la fatigue du voyage. La nuit tombait. J’avais hâte d’arriver à Florence ; nous n’en étions plus qu’à quelques milles, lorqu’en passant devant une locanda d’assez pauvre apparence, isolée sur le bord du chemin, Arabelle fit arrêter les chevaux et déclara qu’elle n’irait pas plus loin. Je lui objectai doucement qu’elle ne trouverait ici qu’un mauvais gîte, qu’elle y repo-