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FERNAND.

de leurs fraîches amours, aux charmantes lueurs de cette suave lune qui préside aux premières joies des époux. Où m’égarent de lâches regrets ? J’ai honte de ma douleur en voyant celle qui m’accompagne. Arabelle ne se plaint pas, mais une fièvre lente lui consume les os. Ses joues se creusent, ses yeux se plombent ; son corps s’allanguit et s’affaisse. Elle reste des journées entières silencieuse, la tête appuyée sur un coussin de la voiture ; si je lui parle, elle répond avec douceur ; parfois je surprends des larmes coulant sans bruit sur son visage. Est-ce là cette femme que nous avons connue belle, souriante, entourée d’hommages ? Sa vie n’était qu’une longue fête ; l’amitié s’empressait sur ses pas : les femmes enviaient sa beauté, les hommes se disputaient ses regards ; sa fortune n’avait que des flatteurs. En comparant ce qu’elle était alors et ce qu’elle est aujourd’hui, qui ne serait touché d’une pitié profonde ? S’il pouvait la voir, M. de Rouèvres se croirait trop vengé. Mon cœur s’amollit et se fond. Qui pleurera sur elle, si ce n’est moi, l’auteur de tous ses maux ?

Si elle mourait pourtant ?… Si elle mourait, c’est moi qui l’aurais tuée ! En serais-je moins son meurtrier, parce qu’au lieu de l’immoler d’un seul coup, je l’aurai laissé mourir à petit feu ? Pour avoir prolongé son supplice, en aurais-je moins abrégé ses jours ? Pour avoir répandu son sang goutte à goutte, en aurais-je moins tari dans son sein les sources de la vie ? En trouverais-je plus aisément grace devant Dieu et devant toi-même ? Si elle mourait !…… mais qu’espères-tu donc, malheureux ? As-tu pensé que sa dernière heure serait l’heure de ta délivrance ? T’es-tu dit qu’après l’avoir mise au tombeau, tu n’aurais plus qu’à reprendre, libre et léger, le sentier des jeunes amours ? T’es-tu flatté que ta conscience ne te poursuivrait point partout et toujours comme l’ange vengeur au glaive flamboyant ? T’es-tu promis de nouer de nouveaux liens sur le cercueil de ta victime ? As-tu médité d’associer ton ame flétrie à une ame innocente et pure ? Détrompe-toi, mon cœur. Ta chaîne est double : l’une peut se briser, mais l’autre est infrangible ; elle est forgée par le remords.

III.

Ami, c’en est fait ; il est temps de se conduire en homme, et puisqu’espérer est un crime, je renonce même à l’espérance. J’accepte