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laisse volontiers prendre à la grace de leurs manières ; mais qu’on s’avise de gratter la couche brillante du vernis qui les couvre, on est tout surpris de ne trouver dessous que le métal le plus vulgaire.

Pour en revenir aux indiscrétions du beau cousin, en voici quelques-unes qui t’intéresseront peut-être. Depuis deux ou trois mois, l’humeur, le caractère et la santé de Mlle de Mondeberre se sont visiblement altérés. M. Gaston de B…, profond observateur et merveilleux psychologiste, assure qu’il faut marier cette enfant. Il tourmente Mme de Mondeberre pour qu’elle se décide à conduire sa fille dans le monde ; mais la fille ne paraît pas s’en soucier non plus que la mère. Quoi qu’il en soit, Gaston s’est mis en tête qu’il marierait sa jolie cousine. Il ne se passe point de semaine qu’il n’aille une ou deux fois au château proposer ou indiquer à Mme de Mondeberre quelque nouveau parti pour Alice. Malheureusement Alice a déclaré qu’elle ne voulait pas voir l’ombre d’un prétendant, et, de son côté, Mme de Mondeberre ne montre nul empressement à connaître le bois dont on fait les gendres. M. de B… ne se lasse point de revenir à la charge, bien qu’on lui réponde chaque fois : « Cousin, que voulez-vous ? nous sommes heureuses ainsi ; allez porter vos maris ailleurs. »

Ne voulant point partir sans prendre congé des deux anges, je suis retourné aujourd’hui au château. Ma visite a été courte. Il n’a guère été question de toi, mais Mlle de Mondeberre a caressé tes chiens et flatté de sa main l’encolure de ton cheval. Tu trouveras ci-joint, avec le dessin d’Alice, un croquis à la mine de plomb que j’ai tracé de souvenir, d’après sa personne. La ressemblance est à peine indiquée ; ton cœur l’achèvera.

Bionda testa, occhi azzurri, e bruno ciglio.

J’ajoute à cet envoi un brin de bruyère rose qui s’est détaché d’un bouquet qu’en causant hier avec moi, Mlle de Mondeberre mordillait et broutait comme une biche. Je n’ai jamais donné pour ma part dans ces faiblesses du sentiment ; mais je les respecte et les sers au besoin.

Ma mission est remplie. Je pars demain au point du jour ; j’ai hâte de revoir mon ruisseau de la rue du Bac. Adieu, ami ; je n’ose ni ne dois te conseiller l’espérance. Cependant ta place est gardée, et la voix mystérieuse qui te poursuit dit vrai : Le bonheur est ici, qui t’attend.