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FERNAND.

ment la belle enfant à me l’offrir comme un souvenir de la gracieuse hospitalité de sa mère, et je la priai d’accepter en échange un croquis de Decamps que j’avais dans mon portefeuille. Le reste de la soirée fut employé à visiter les lieux que j’avais appris à aimer longtemps avant de les connaître. Toutefois, je dois convenir que la fraîcheur de la soirée nuisit quelque peu à la sincérité de mes émotions. Entre neuf et dix heures, je me retirai en compagnie de M. de B…, qui fit route avec moi jusqu’à Peveney. Quelque bien que tu m’aies écrit de ce gentilhomme un soir que tu venais de découvrir avec enthousiasme qu’il ne pouvait épouser sa cousine sous peine de bigamie, quelque estime que je fasse de lui d’ailleurs, je ne saurais pourtant m’empêcher de reconnaître que M. de B… possède un des défauts (à moins que ce ne soit une qualité) les plus antipathiques à ma froide nature. C’est un cœur banal, un esprit indiscret, une ame en plein vent. Pareils aux vases fêlés qui ne peuvent rien garder, il est des hommes dont la vie est un épanchement perpétuel ; leur confiance est à qui les écoute. En dix minutes, on fait plus de chemin dans leur intimité qu’en dix ans dans une affection véritable. Ils se livrent à tous sans discernement et s’en vont de porte en porte racontant de droite et de gauche leurs affaires et celles de leurs voisins, si bien que les connaissances d’un jour s’étonnent de jouir auprès d’eux de tous les priviléges d’une ancienne amitié, tandis que l’amitié s’indigne de se voir prostituée au premier étranger qui passe. Je n’aime pas ces hommes-là, et M. de B… en est un. Nous n’avions pas gagné le sentier du bord de l’eau qu’il m’appelait son cher ami et me prouvait que ce n’était pas un vain titre. À peine étions-nous à un quart de lieue du château qu’il s’occupait déjà de m’en dévoiler les mystères. Ainsi j’ai dû entendre tout au long l’histoire de la châtelaine depuis la mort de son mari ; sa résolution de vivre dans la retraite et d’y élever son enfant, les démarches infructueuses de sa famille pour l’en arracher, son refus constant de se remarier, tout ce gracieux poème que je savais déjà, M. de B… me l’a chanté en prose médiocrement poétique. Cet homme n’a rien compris de ce qu’il y a de charmant dans la vie de cette chaste veuve qui s’enferme à vingt ans pour vieillir fidèle à l’époux qui n’est plus et se vouer tout entière à l’unique fruit d’un amour que la mort a fait éternel. M. de B… n’a vu dans ce veuvage obstiné qu’une bizarrerie de caractère qu’il ne se charge pas d’expliquer. Je ne sais rien de plus désenchantant que de soumettre à un examen un peu sérieux la plupart de ces hommes qu’on appelle des gens du monde. On se