Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
FERNAND.

mon adresse, je me crois du sang des Lapithes ou des Centaures. Cependant, au détour du sentier, voici que maître Ramponneau, plein d’une ardeur depuis long-temps oisive, et ne reconnaissant pas le poids accoutumé, se livre à de légers exercices moins rassurans que pittoresques ; ce que voyant, je n’imagine rien de mieux que de tirer à moi la bride de toute la force de mes deux poignets. Ramponneau se cabre, tourne sur lui-même, se dresse sur ses jarrets de derrière, retombe sur ses pieds de devant, et s’élance au triple galop, encore excité par les chiens qui bondissent autour de lui en aboyant comme des forcenés. Nous allons comme l’ouragan, franchissant haies, fossés et barrières. Je vois les arbres fuir comme des ombres, et le sentier se dévider comme un écheveau. C’est Mazeppa lancé dans les steppes de l’Ukraine. Enfin, après vingt minutes de course au clocher, homme et cheval, l’un portant l’autre, nous nous précipitons, par une porte ouverte, dans une cour qui retentit aussitôt des aboiemens des chiens, qui s’y jettent à notre suite. C’est un abominable vacarme. Ramponneau bat le pavé, hennit et renifle : les chiens du logis que nous venons d’envahir mêlent leurs voix aux concerts de ta meute, tandis que moi, toujours en selle et tout étourdi, je cherche à me remettre d’une alarme si chaude.

C’est là qu’en sont les choses, lorsque j’entends le bruit d’une fenêtre qui s’ouvre au-dessus de ma tête. Je lève les yeux et j’entrevois une figure qui disparaît pour venir à moi. C’est une femme belle encore, au noble maintien, au grave et doux visage. En l’apercevant, j’ai mis pied à terre. Elle s’avance, les traits épanouis et la bouche souriante. Je crois démêler que je suis l’objet d’une méprise. En effet, à quelques pas de moi, elle s’arrête, pâlit et se trouble. J’en fais autant de mon côté ; je la salue gauchement, et nous restons à nous regarder l’un l’autre avec embarras. Je ne sais que dire ni qu’imaginer, lorsqu’en cherchant au ciel une inspiration, je découvre à travers une vitre un jeune et blond visage qui m’observe avec curiosité. C’est un éclair. Je comprends tout. Ramponneau m’a conduit à mon insu dans la cour d’un château dont tu lui as appris le chemin ; cette femme, c’est Mme de Mondeberre ; ce blond visage, c’est Alice ; moi, je suis le rayon éteint d’une espérance évanouie.

Quand tout fut expliqué et que j’eus prié Mme de Mondeberre d’agréer mes excuses, je voulus me retirer ; mais la châtelaine me retint. — Vous êtes l’ami de M. de Peveney, me dit-elle ; permettez que je profite du hasard qui vous a conduit près de moi. D’ailleurs,