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REVUE DES DEUX MONDES.

Le lendemain, c’était hier, jour aux aventures ! Je m’étais éveillé de grand matin, avec la fervente intention de voir lever l’aurore, que je n’avais vue de ma vie que sur les toiles de l’Opéra. J’en avais lu tant de descriptions chez les poètes, que j’étais résolu à profiter de mon séjour à la campagne pour savoir, une fois pour toutes, à quoi m’en tenir là-dessus. Donc, à l’aube naissante, je me jetai à bas du lit et courus à la fenêtre. Le ciel, la vallée, les coteaux, tout, jusqu’à ton jardin, nageait pêle-mêle dans un épais brouillard, et je ne distinguai dans ce chaos que ton palefrenier qui étrillait un cheval à la porte de l’écurie. Je regagnai ma couche avec empressement, et, quand je me relevai, le soleil avait conquis le ciel ; de la brume qui l’enveloppait quelques heures auparavant, il ne restait qu’une blanche vapeur qui flottait sur le vallon comme une gaze transparente.

J’aime la campagne modérément. Les romanciers en ont fait un tel abus, qu’ils l’ont dépouillée, à mes yeux, de son plus doux charme. Jean-Jacques Rousseau, qui fut un grand peintre de la nature, parce qu’il aimait la nature et qu’il vivait intimement avec elle, a créé une école de rapins et de barbouilleurs qui se sont rués dans son domaine, et n’ont manqué, pour se l’approprier, que d’amour et d’intelligence. Je n’aperçois le paysage qu’à travers les fausses couleurs dont ils l’ont chargé. La brise me récite leurs mauvaises phrases, et la fauvette me chante leurs méchans vers. C’est pourquoi je n’étais pas aux champs depuis deux jours que déjà j’en avais assez. Ajoute que cette maison déserte, qui ne me parle que de toi, est un tombeau où, au bout de vingt-quatre heures, je me sentais dépérir de tristesse et d’ennui. Il me semblait que tes meubles et tes lambris, étonnés de me voir à ta place, me regardaient d’un air sournois. Après déjeuner, je me demandai avec quelque inquiétude comment j’arriverais au soir, car je ne suis pas homme à m’égarer en molles rêveries sur le bord des ruisseaux. Tandis que je me consultais sur l’emploi de ma journée, je me souvins du cheval qu’en cherchant à découvrir les coursiers de l’Aurore, j’avais vu étriller à la porte de l’écurie. J’allai le visiter. J’aime les chevaux, quoique n’en usant pas. Celui-ci, bien qu’élégant et fier, me parut doux et facile à mener. Ton palefrenier m’ayant assuré que c’était un agneau, j’eus la fantaisie de le monter et de pousser jusqu’à Clisson, que je n’avais fait qu’entrevoir. Ce fut l’affaire d’un instant. On selle, on bride Ramponneau ; je mets le pied à l’étrier, et je pars, escorté de la meute joyeuse.

D’abord tout va bien. Ramponneau s’avance au pas relevé, à la fois docile et superbe. Je ne reviens pas de mon aisance ; j’admire