Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
208
REVUE DES DEUX MONDES.

heure en conjectures sur sa disparition. Ceux-ci présument qu’il est allé prendre du service en Espagne ; ceux-là, qu’il voyage en Orient ; d’autres, qu’il se bat en Afrique. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ici nul n’en sait là-dessus plus long que moi, qui n’en sais rien.

Que puis-je pour toi ? Dis un mot. Mon amitié souffre de son repos et s’indigne de son impuissance.

FERNAND DE PEVENEY À KARL STEIN.

Tu ne peux rien pour ma délivrance, mais tu peux me faire passer une fleur à travers les barreaux de ma fenêtre. Ami, puisque tu m’aimes et que tu m’es dévoué, aie pitié d’une fantaisie de mon cœur. Si rien ne t’empêche et ne te retient, prends la poste, et va passer quelques jours à Peveney. La lettre ci-jointe t’ouvrira la porte de mon petit manoir et t’y installera en maître. Ce voyage te plaira. Ma Bretagne, belle en toute saison, est belle surtout vers la fin de l’automne. Peut-être aussi te sera-t-il doux de connaître les lieux où j’ai vécu, de vivre où je m’étais promis de vieillir en paix au sein du bonheur. Il est impossible que tu ne trouves pas quelque charme à visiter le nid de mes rêves envolés. Le coin de terre qui nous parle d’un être aimé en dit plus à notre ame que tous les monumens consacrés par l’histoire. Quoi qu’il t’en semble, prête-toi avec bonté aux enfantillages d’un esprit chagrin. Tu dessines un peu, n’est-ce pas ? Le soir, avant la tombée de la nuit, suis le chemin qui mène à Mondeberre ; rôde discrètement autour du parc ; tâche d’apercevoir, par quelque éclaircie du feuillage, une jeune et blonde figure : si tu la vois, saisis ses traits au vol, et fixe-les sur un feuillet de ton album. Ajoutes-y un croquis du château, et glisse le tout sous l’enveloppe d’une lettre que tu m’écriras dans ma chambre, près de la croisée, à cette même place où je t’écrivais autrefois. Achève avec la plume l’œuvre de ton crayon. Ne néglige rien, n’omets pas un détail. Que cette lettre apporte à l’exilé tous les parfums, tous les reflets, tous les échos de la patrie lointaine !

KARL STEIN À FERNAND DE PEVENEY.

Je t’écris dans ta chambre, à la lueur de ta lampe, les pieds dans tes pantoufles. Mais reprenons les choses de plus loin. Tu veux des détails, en voici.