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FERNAND.

porte la peine d’un égarement dont je n’ai pas été le complice ? Je me dis aussi que l’honneur ne fait pas à la haine un devoir de l’amour ; je me dis que je hais cette femme, que je ne lui dois rien que d’assurer sa destinée ; qu’elle ait donc à prendre ma fortune et qu’elle me rende ma liberté. Ah ! malheureux, plût au ciel qu’il en pût être ainsi ! Que ne m’est-il permis de la racheter, cette liberté que je pleure ! Je la paierais avec joie de tout ce que je possède en ce monde. J’irais vivre sous un toit de chaume, je gagnerais ma vie à la sueur de mon front, et je bénirais le Dieu qui m’aurait fait de si doux loisirs. Mais, ami, tu connais Arabelle ! C’est une ame fière et superbe avec laquelle il serait insensé de vouloir entrer en arrangement. Si l’honneur me fait une loi de ne lui point retirer mon appui, de son côté l’honneur lui commande de ne rien accepter que de mon amour. Ajoute qu’elle a toutes les exigences et toutes les susceptibilités que sa situation comporte, d’autant plus ombrageuse qu’elle est préoccupée sans cesse de l’idée de sa dépendance. Je n’ai pas le droit d’être distrait ou silencieux ; on commente mes regards, on mesure mes gestes, on pèse mes paroles. Qu’un nuage passe sur mon front, il s’en échappe aussitôt des orages que je dois m’efforcer de calmer. Combien de fois déjà m’a-t-elle offert, dans sa fierté blessée, de me délivrer de sa présence ! C’est moi qui suis obligé de la rassurer et de la retenir. Quel amour ne faudrait-il pas pour alléger un si rude labeur ! J’ai beau me dire que je suis le seul être ici-bas qui doive la juger avec quelque indulgence, j’ai beau me répéter que ce n’est point à moi qu’il appartient de la fouler aux pieds, et que c’est le moins qu’on pardonne aux erreurs de l’amour qu’on inspire ; c’est plus fort que moi, je la hais. D’ailleurs, sachons que l’amour n’a rien à voir en ces sortes d’union. N’est-il pas honteux que ce qu’il y a de plus beau sous le ciel serve de prétexte et d’excuse à de telles aberrations ? Quoi ! l’oubli de tous les devoirs, la folle exaltation de la tête et des sens, les dérèglemens d’une imagination sans frein, l’impudeur en plein vent, l’audace effrontée qui brave tout et que rien n’arrête, ce serait là l’amour, cette chose de Dieu ! Non, non, ce n’est pas ainsi que procède l’amour véritable, et c’est l’outrager que de mêler son nom à de pareilles aventures.

III.

Hier, à la fenêtre d’une auberge où nous étions depuis quelques heures, j’ai vu s’arrêter devant la porte une chaise de poste et Gus-