Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/191

Cette page a été validée par deux contributeurs.
185
L’ÉGLISE ET LA PHILOSOPHIE.

leur témoignage de la puissance morale du christianisme que la variété contradictoire des développemens par lesquels il s’est manifesté. Cette doctrine est assez grande pour contenir Grégoire VII et Luther, Knox et Loyola. Vouloir mettre les jésuites en dehors du christianisme est chose plus spécieuse que solide. C’est aussi plutôt penser en religionnaire qu’en politique et en philosophe.

Nous regrettons que M. Quinet n’ait pas accordé plus de temps à l’examen des constitutions des jésuites. À ce sujet, il a fait en courant quelques piquantes remarques ; mais cette législation singulière méritait une analyse profonde. Dans l’antiquité, nous admirons l’institut de Pythagore, cette vaste communauté philosophique où le noviciat était si austère, où une sévère discipline présidait à tous les actes de la vie. Les constitutions des jésuites ne sont pas sans ressemblance avec les règles qu’avait établies le sage de Samos, et cette comparaison offrirait une belle étude à l’observateur équitable et savant. Nous eussions désiré aussi que, tout en s’autorisant de la bulle de Clément XIV, qui supprima les jésuites, M. Quinet examinât les causes qui avaient pu déterminer le pape à ce grand coup d’état, que ne tardèrent pas à déplorer les plus fidèles soutiens de l’église. Au surplus, sans recourir à des témoignages catholiques, Jean de Müller, historien protestant, ne craint pas, dans son impartialité, de terminer le chapitre qu’il a consacré à la cour de Rome et à la compagnie de Jésus par ces paroles : « Les sages ne tardèrent pas à penser qu’avec les jésuites était tombée une barrière nécessaire et commune à tous les pouvoirs[1]. Il y a là tout un ordre de considérations politiques dont l’absence est sensible dans les chaleureux développemens de M. Quinet.

Mais, encore une fois, reconnaissons que dans ses pages brillantes M. Quinet a fait ce qu’il a voulu faire, la guerre, et non une histoire. Il s’est défendu, il a pris l’offensive avec talent, avec succès, comme professeur et comme écrivain. Beaucoup de personnes, et nous partageons volontiers leur sentiment, ont regretté de voir dominer la polémique là où la science devrait régner seule : à qui faut-il imputer cette interversion ?

Ici nous abordons un sujet affligeant. On a toujours pu constater par la polémique chrétienne à quel degré de culture intellectuelle s’est, à chaque époque, trouvée l’église. C’est dans le combat que

  1. Histoire universelle de Jean de Müller, livre XXIII, chap. IX, édition allemande de 1817 ; Tubingen.