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FERNAND.

plus de l’essai que je viens de faire, puisque je lui dois d’avoir entrevu de bonne heure et compris le vrai but de ma destinée.

Tu le vois, me voici tout près d’emboucher les pipeaux champêtres ! Paris m’a fait amoureux de l’églogue. À ce compte, tu devines aisément l’emploi de mes journées. Jusqu’à l’heure où le facteur de la commune passe devant ma porte, je suis triste, inquiet, tourmenté. Quand je l’aperçois de loin avec sa boîte en sautoir, ses guêtres de cuir aux jambes et son bâton ferré à la main, mon cœur se serre. S’il me remet une lettre d’Arabelle, j’en brise le cachet avec humeur, et c’est un jour perdu pour la joie ; mais qu’il passe sans s’arrêter, je sens aussitôt mes poumons qui se dilatent, l’air de la liberté qui m’inonde, et je pars plus léger qu’un faon courant sur l’herbe des clairières.

Je vais à l’aventure où me mène mon cheval ou ma fantaisie. Aujourd’hui pourtant, après t’avoir écrit, je pousserai résolument jusqu’au château de Mondeberre. L’histoire du château se cache dans l’ombre des temps féodaux : la châtelaine est belle encore, et sa destinée est touchante. Mme de Mondeberre perdit, après un an de mariage, son mari, jeune et beau comme elle, tué misérablement par son meilleur ami dans une partie de chasse. Veuve à vingt ans, comblée de tous les dons de la naissance et de la fortune, elle dit au monde un éternel adieu, et se retira avec sa fille, qui comptait quelques mois à peine, dans ce manoir qu’elle n’a plus quitté, malgré les sollicitations de ses amis et de sa famille.

Je n’étais guère qu’un enfant alors ; mais cette histoire, que j’entendais conter autour de moi, préoccupait et charmait à la fois mon imagination naissante. Un soir, j’en entrevis l’héroïne à travers le feuillage éclairci de son parc. Qu’elle m’apparut belle et charmante ! mais en même temps qu’elle me sembla imposante et fière ! Je n’oublierai jamais de quelle façon il me fut donné de lui parler pour la première fois.

J’avais seize ans : j’aimais la chasse avec passion. Un jour que j’avais battu sans succès nos landes et nos bruyères, je m’en revenais d’un pas découragé, quand tout à coup mes chiens firent lever un lièvre qui disparut dans un épais fourré. Les chiens l’y suivirent, et moi-même je m’y jetai avec une sauvage ardeur. Toi qui n’as jamais brûlé de poudre qu’au tir, tu ne sais pas quelle fièvre, ou plutôt quel démon s’empare, en ces instans, de notre être. J’éventrai une haie qui me faisait obstacle, et, le visage et les mains en sang, je me précipitai sur la trace des chiens, les animant de la voix, et ne m’aper-