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L’ÉGLISE ET LA PHILOSOPHIE.

tion tout-à-fait extraordinaire. Il poursuit à outrance les jésuites, non-seulement dans les positions qu’ils ont prises aujourd’hui, mais dans tout leur passé ; il les montre toujours et partout corrompant la jeunesse, s’emparant des femmes, représentant sous toutes les formes l’esprit de délation et de police, l’esprit de mort. Ce n’est encore que la moitié du mal : non-seulement nous avons à nous défendre des jésuites, mais M. Michelet nous signale les jésuitesses, voilà qui est effrayant. Il paraît que dans nos ménages bourgeois, dans les salons, nous sommes exposés à rencontrer, sous la physionomie de femmes douces et charmantes, des jésuitesses qui nous mènent Dieu sait où, et nous font croire tout ce qu’elles veulent. M. Michelet aperçoit des millions de femmes qui n’agissent que par les jésuites et il s’écrie : « La France est avertie maintenant ; qu’elle fasse ce qu’elle voudra ! » La vivacité des exclamations de M. Michelet, la franchise de ses exagérations, tout, jusqu’au désordre de son style, montre combien il est sincère et convaincu ; mais qu’il nous permette de le lui dire, ni la nature de son esprit, ni le genre de son talent ne le destinent à la polémique. Pour bien combattre, il faut moins d’emportement. L’esprit n’est véritablement puissant dans la polémique que lorsqu’il est maître de lui-même et de sa colère. Les combattans novices sont toujours en fureur ; l’athlète expérimenté reste calme, il prend son temps, choisit son terrain, et frappe avec discernement. Enfin il est d’autant plus redoutable à ses adversaires qu’il leur fait équitablement leur part, et qu’il a pour eux une désespérante et magnanime justice. En lisant ce que M. Michelet a écrit sur les jésuites, on se surprend parfois à prendre contre lui leur défense : à coup sûr ce n’est pas là l’effet qu’il a voulu produire. M. Michelet a rappelé quelque part qu’il s’était voué uniquement à l’histoire de France, qu’il l’écrivait hier, qu’il l’écrira demain, qu’il l’écrira toujours : il aura raison de ne pas négliger cette longue étude pour les luttes de la polémique. C’est par le culte de l’histoire nationale, c’est par des pages pleines d’une émotion naïve et pure, comme son éloquent récit de la vie de Jeanne d’Arc, que M. Michelet servira vraiment sa renommée, et qu’il contentera tout-à-fait les sincères amis de son noble et consciencieux talent.

Mais ici me revient en mémoire cette phrase de M. Michelet : « On a dit que je défendais, on a dit que j’attaquais. Ni l’un ni l’autre… J’enseigne. » Faut-il souscrire à cette prétention ? Alors la critique historique serait obligée d’être plus sévère, car elle aurait à demander compte à l’écrivain de ses jugemens, si incomplets et si