Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/187

Cette page a été validée par deux contributeurs.
181
L’ÉGLISE ET LA PHILOSOPHIE.

gneur qui voudraient se faire appeler ses héritiers pour avoir eu de sa succession quelques méchans habits. Quant aux jésuites, tout en considérant la suppression de leur ordre comme une satisfaction donnée à la raison humaine, l’ami de Voltaire rendait justice aux talens qu’avait déployés la société dans tous les genres, éloquence, histoire, antiquité, géométrie, littérature profonde et agréable. Il est vrai qu’à côté de ce goût pour l’étude, de ces succès dans les lettres, il plaçait le génie de l’intrigue. D’Alembert ne se trompait pas. C’est en effet à la science et à la politique réunies que les jésuites demandaient le gouvernement du monde au nom de la religion. Nous parlons des temps de leur grandeur.

Les parlemens furent plus durs pour les jésuites que les philosophes. « L’esprit monastique, disait M. de La Chalotais, procureur-général du parlement de Bretagne, est le fléau des états : de tous ceux que cet esprit anime, les jésuites sont les plus nuisibles parce qu’ils sont les plus puissans ; c’est donc par eux qu’il faut commencer à secouer le joug de cette nation pernicieuse. » C’est en vertu de ces principes que l’ancienne magistrature fut inexorable envers la compagnie de Jésus. Les philosophes guerroyèrent contre les jésuites, mais ils n’eurent pas envers eux cette animosité implacable. Voltaire, qui avait été leur élève, les ménagea long-temps. Un jour les jésuites s’avisèrent de vouloir écrire dans l’Encyclopédie : ils désiraient en rédiger la partie théologique ; on reconnaît là l’industrie des bons pères. Les philosophes remercièrent ces singuliers collaborateurs, qui, piqués du refus, se mirent à attaquer l’ouvrage auquel ils ne pouvaient coopérer. L’Encyclopédie, les philosophes, furent dénoncés à l’Europe avec cette violence maladroite qu’inspire presque toujours l’amour-propre blessé. Voltaire eut naturellement l’honneur d’être surtout le point de mire des jésuites en colère. Imprudens ! Pendant plusieurs années, Voltaire les laissa dire, enfin il éclata. Quelles représailles, bon Dieu ! Sur tous les tons, dans toutes les formes, critique, satires, contes en vers, contes en prose, épigrammes, facéties, Voltaire divertit l’Europe aux dépens des jésuites. La gaieté de Voltaire fut toujours fatale à ceux qui en furent l’objet. Raillés par les philosophes, poursuivis par les jansénistes, réprouvés par les parlemens, abandonnés par l’église, les jésuites arrivèrent au bord de l’abîme, et chacun comprit qu’ils allaient y tomber. Alors Voltaire en prit pitié et suspendit ses coups. « Ô mes frères les jésuites, leur dit-il, vous n’avez pas été tolérans, et on ne l’est pas pour vous. » Au moment où on s’occupait de les condamner et de les