était prêt sans cesse à retoucher, à rendre plus solide et plus vrai ce qui, dans une première version, n’était qu’éblouissant. On sait la phrase finale du Pape, dans laquelle il est fait allusion au mot de Michel-Ange parlant du Panthéon : Je le mettrai en l’air. « Quinze siècles, écrit M. de Maistre, avaient passé sur la ville sainte lorsque le génie chrétien, jusqu’à la fin vainqueur du paganisme, osa porter le Panthéon dans les airs, pour n’en faire que la couronne de son temple fameux, le centre de l’unité catholique, le chef-d’œuvre de l’art humain, etc., etc. » Cette phrase pompeuse et spécieuse, symbolique, comme nous les aimons tant, n’avait pas échappé au coup d’œil sérieux de M. Deplace, et on voit qu’elle tourmentait un peu l’auteur qui craignait bien d’y avoir introduit une lueur de pensée fausse : « Car certainement, disait-il, le Panthéon est bien à sa place, et nullement en l’air. ». Et il propose diverses leçons, mais je n’insiste que sur l’inquiétude.
Nous avions dit que plusieurs passages relatifs à Bossuet avaient été adoucis sur le conseil de M. Deplace ; une lettre de M. de Maistre au curé de Saint-Nizier (22 juin 1819) en fait foi : « J’ai toujours prévu que votre ami appuierait particulièrement la main sur ce livre V (qui est devenu l’ouvrage sur l’Église gallicane). Je ferai tous les changemens possibles, mais probablement moins qu’il ne voudrait. À l’égard de Bossuet, en particulier, je ne refuserai pas d’affaiblir tout ce qui n’affaiblira pas ma cause. Sur la Défense de la Déclaration, je céderai peu, car, ce livre étant un des plus dangereux qu’on ait publiés dans ce genre, je doute qu’on l’ait encore attaqué aussi vigoureusement que je l’ai fait. Et pourquoi, je vous prie, affaiblir ce plaidoyer ? Je n’ignore pas l’espèce de monarchie qu’on accorde en France à Bossuet, mais c’est une raison de l’attaquer plus fortement. Au reste, monsieur l’abbé, nous verrons. Si M. Deplace est longtemps malade ou convalescent, je relirai moi-même ce Ve livre, et je ne manquerai pas de faire disparaître tout ce qui pourrait choquer : J’excepte de ma rébellion l’article du jansénisme. Il faut ôter aux jansénistes le plaisir de leur donner Bossuet : Quanquam o… ! »
Ces concessions ne se faisaient pas toujours, comme on voit, sans quelques escarmouches. On retrouve dans ces petits débats toute la vivacité et tout le mordant de ce libre esprit ; ainsi dans une lettre à M. Deplace, du 28 septembre 1818 : « Je reprends quelques-unes de vos idées à mesure qu’elles me viennent. Dans une de vos précédentes lettres, vous m’exhortiez à ne pas me gêner sur les opinions, mais à respecter les personnes. Soyez bien persuadé, monsieur, que ceci est une illusion française. Nous en avons tous, et vous m’avez trouvé assez docile en général pour n’être pas scandalisé si je vous dis qu’on n’a rien fait contre les opinions, tant qu’on n’a pas attaqué les personnes[1]. Je ne dis pas cependant que, dans ce genre comme dans un autre, il n’y ait beaucoup de vérité dans le proverbe : « À
- ↑ Si c’était une illusion française, de respecter les personnes en attaquant les choses, il faut reconnaître qu’elle s’est bien évanouie depuis peu.