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REVUE DES DEUX MONDES.

Voici mon plan, tu l’approuveras, je l’espère : écrire de loin en loin à Arabelle ; trouver chaque fois un nouveau prétexte pour prolonger mon absence ; passer insensiblement des expressions de la tendresse au langage de la raison ; éclairer peu à peu son cœur, l’amener par degrés à des sentimens plus paisibles, et la déposer ainsi, sans la briser ni la meurtrir, sur le seuil de la réalité. Je compte sur ton assistance. Nul doute que les premiers cris de sa passion blessée n’arrivent jusqu’à toi. Ménage à la fois et son orgueil et son amour ; laisse-lui croire qu’en la quittant, c’est moi seul que je sacrifie, et que, si son bonheur m’était moins cher que le mien, je serais encore auprès d’elle.

Depuis que ce plan est arrêté, je me sens plus ferme et plus calme. Je viens d’écrire à Arabelle. Je me suis épuisé à torturer mon cœur pour en faire jaillir deux ou trois pâles étincelles. Quel ennui ! Si tu as un ennemi, souhaite-lui d’avoir à écrire une lettre d’amant à la femme qu’il n’aime plus. Autant vaudrait souffler sur les cendres d’Ilion pour en tirer un peu de flamme.

KARL STEIN À FERNAND DE PEVENEY.

Ah ! faible, faible cœur ! Ainsi, pour te troubler, il aura suffi d’une lettre ! Voici déjà que tu trembles et que tu hésites ! voici qu’au lieu d’aller droit au but, tu prends le chemin de traverse ! Si dès à présent tu fléchis, que sera-ce donc lorsque Arabelle, éclairée sur son sort, à chaque courrier t’enverra sous enveloppe les fureurs d’Hermione, les sanglots d’Ariane et les plaintes de Calypso ! Enfant, tu n’y résisteras pas ; tu reviendras, esclave soumis et repentant, reprendre le collier de misère. Je ne me dissimule pas ce que la position a de pénible et de périlleux : il n’est pas de chaîne, je le sais, qu’il ne soit plus aisé de rompre que ces liens si doux à former ; mais si la tâche est rude, la vanité, je te l’ai déjà dit, nous en exagère singulièrement les difficultés, et toujours est-il qu’il se faut garder de trop prendre au sérieux les lamentations de ces belles abandonnées. Il est bien rare, quand nous les délaissons, qu’elles n’aient pas sous la main une consolation toute prête. As-tu remarqué que le chêne ne perd ses feuilles que pour en prendre de nouvelles ? Les femmes, en amour, ne font guère autrement.

Tu tiens à connaître mon sentiment sur le plan de campagne que tu t’es tracé ; à quoi bon ? Tu ne serais pas homme, si, en demandant