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LETTRES PARISIENNES.

que cette belle création ne soit pas précisément aussi neuve qu’on pourrait le croire.

Un rêveur subtil, Joubert, remarque à un endroit de ses Pensées que le style frivole est depuis long-temps parfait dans notre littérature. Voiture, Hamilton, Mlle de Launay, Boufflers, avaient, depuis bien long-temps, montré qu’il est possible d’enchâsser des minuties dans de gracieuses phrases, et de donner du prix à une matière sans valeur par le seul fini du travail, par le délié des ciselures. La Bruyère, avec son tact exquis, dit quelque part : « Pour rencontrer heureusement sur les petits sujets, il faut trop de fécondité ; c’est créer que de railler ainsi et faire quelque chose de rien. » Voilà une double leçon, et pour ceux qui méprisent ce genre secondaire du badinage, et pour ceux qui croient faire acte suffisant de modestie en se rabattant à ces régions sans conséquence. C’est que la modestie n’est pas aussi facile qu’on le croit ; c’est que tout, jusqu’à la légèreté, a son prix et son écueil. À n’en croire que La Bruyère, la sévérité ici serait légitime ; mais avons-nous les mêmes droits que lui d’être exigeans ? Ce n’est pas l’assurance, à coup sûr, qui manque à l’auteur des Lettres parisiennes ; il est fort douteux cependant que le spirituel feuilletoniste osât accepter le programme de l’auteur des Caractères.

Parler des choses du monde avec esprit, dire avec grace des enfantillages mondains, est, on vient de le voir, une assez vieille nouveauté. La forme, tantôt hebdomadaire, tantôt mensuelle que Mme de Girardin donna à sa correspondance, ne saurait passer davantage pour une trouvaille dont elle ait à revendiquer l’idée première : c’est ce que faisait Grimm pour le prince de Gotha, c’est ce que faisait La Harpe pour le grand-duc de Russie. Ce qui appartient donc véritablement à Mme de Girardin, c’est d’avoir approprié son bulletin de la vie élégante à la forme banale du feuilleton.

Comme le feuilleton s’est aussitôt emparé, pour la reproduire partout, de l’idée première des Lettres Parisiennes, on pourrait s’imaginer que c’est bien plutôt l’auteur qui s’est imposé au feuilleton que le feuilleton qui s’est imposé à lui. Il n’en est rien pourtant : le feuilleton est une triste et envahissante maladie de notre temps, qui paraît destinée faire le tour de la littérature. Rien n’y aura échappé, et, au premier jour peut-être, on ne voudra plus de livres d’histoire et de philosophie qu’ainsi déchiquetés par lambeaux, qu’ainsi jetés par parcelles, comme une pâture plus facile, aux intelligences paresseuses. À notre sens, rien n’éveille davantage chez le public le goût