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êtes encore jeune ! répondit-il. Vous imaginez-vous que les coups de fusil ne portent pas, pour être tirés par la sacristie ? » La fusillade voisine de la Presse a vite aguerri, à ce qu’il paraît, Mme de Girardin, et elle aussi, munie d’une escopette mignonne, quelquefois même d’un tout petit tromblon doré qui projette les chevrotines de droite et de gauche, elle s’est mise à faire feu sans relâche par les meurtrières festonnées de son boudoir. Et qui poussait donc une si aimable personne à prendre ainsi le déguisement d’un condottieri de ruelle ? Était-ce enfantillage, caprice, simple désir de jeter à tout hasard sa poudre aux moineaux ? Certains coups étaient trop bien visés pour qu’on le pût croire. Était-ce seulement un goût particulier pour ces gentillesses cruelles, pour ces jeux taquins et ces égratignures de la polémique ? Je me refuse absolument, par politesse, à accepter la solution. Ce fut, je crois, tout simplement l’influence de l’exemple, le désir de l’imitation. Il y avait là, tout à côté, un fort où se faisait la grosse guerre politique et d’où le pouvoir était tenu en respect : l’idée alors vint tout de suite d’avoir aussi je ne sais quelle autre petite citadelle bien gentille et d’où une main habile aurait sous sa couleuvrine certaines régions du monde et des lettres. Ajoutez à cela le charme du bruit, le plaisir de taquiner à son aise la renommée. Comment résister à la tentation ? On céda, et on prit l’engagement d’avoir de l’esprit à heure fixe, sans songer que l’esprit de commande trahit forcément je ne sais quoi d’artificiel qui se reconnaît bientôt et qui lasse.

Toutes les semaines ou à peu près, il y eut donc un courrier, une sorte de chronique fashionable, pleine de rien et de tout, où on parlait des bals bourgeois et des goûts aristocratiques, des révolutions et des rubans nouveaux, des petits quolibets de celui-ci, et des grandes mystifications de celui-là, de la politique de M. Guizot et des manchettes de valenciennes, des travers de la marquise de Trois-Étoiles et des canapés de lampas, de l’urbanité de M. de Metternich et des romans de M. Paul de Kock : chronique décousue, on le voit, mais amusante, et où le paradoxe s’unissait à la fantaisie, où une médisance coquettement babillarde s’entremêlait à mille futilités, dites avec le plus grand sérieux du monde. Qu’y avait-il cependant de tout-à-fait nouveau dans l’invention des revues parisiennes, adoptée depuis et propagée par cette presse moutonnière, à qui tous les succès font envie ? Était-ce le fond, était-ce la forme ? Raconter des bagatelles et aiguiser de petites malices, voilà le fond ; les distribuer en chapitres, les découper en feuilletons, voilà la forme. Je crains bien