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qu’en ajoutant, comme restrictif, qu’il y a des monstres charmans. Personne, d’ailleurs, ne fera difficulté de convenir que le métier de critique est un singulier choix de la part d’une femme. Ce n’était pas là une boutade de Voltaire. Voltaire, dans la pratique, était fidèle à sa doctrine ; on se rappelle ses transes affreuses quand sa nièce composa et voulut faire jouer une comédie : il comprit alors, mieux que jamais, comment une certaine dignité est attachée à l’état de femme qu’il importe de laisser intacte ; il comprit surtout comment une personne d’esprit, dont on ambitionne les suffrages, joue un beau rôle, que la prétention d’auteur comique ou critique gâte et compromet. La double position de femme et de journaliste a quelque chose d’étrange qui arrête et choque tout d’abord l’esprit le moins timoré. Et qu’ont en effet de commun cette vie publique et militante, ces hasards d’une lutte sans fin, cette guerre avancée de la presse, avec la vie cachée du foyer, avec la vie distraite des salons ? Est-ce que des voix frêles et élégantes sont faites pour se mêler à ce concert de gros mots bien articulés, de voix cassées et injurieuses, qui retentissent chaque matin dans l’arène de la polémique ? Si c’est une parole d’affection qui tombe de ces lèvres charmantes, doit-elle être entendue de plus d’un ? Si, au contraire, quelque fine ironie s’en échappe, si un malin sourire les vient contracter, faut-il que le public s’en aperçoive derrière les épaules des amis qui font cercle pour écouter ? Je ne puis m’habituer à l’idée d’une femme faisant un cours, débitant son opinion sur toutes choses, approuvant, condamnant, tranchant, tout comme un pédagogue en Sorbonne. Voilà pourtant que vous me citez, je crois, l’exemple de ce professeur de droit, du temps de Pétrarque, qui se faisait suppléer par sa propre fille, une jeune, jolie et très piquante Italienne, ma foi ! Je conviens volontiers que l’amphithéâtre de l’école de Padoue était plus plein en ces rencontres que d’habitude, tout comme le feuilleton a plus de lecteurs quand vous le signez. Mais nous oublions un détail, c’est que, ces jours-là, on tendait un voile devant la chaire et que la docte et timide enfant n’osait risquer sa parole que cachée par la tapisserie. Or, c’est ce voile précisément que, dans votre imprudente impatience, vous déchirez aujourd’hui. Mon Dieu ! nous vous savions là derrière ; nous reconnaissions votre petite voix perçante et flûtée, nous vous devinions à ce marivaudage moqueur, à cette manière ajustée et coquette de raconter de jolis riens, à toutes ces méchancetés bien et perfidement dites, à ce ton délibéré et fringant, à ces fins éclairs du langage, à ces manèges de style espiègle, à cette