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SITUATION INTELLECTUELLE DE L’ALLEMANGNE.

mande ? Ne sentez-vous pas comme ils réveillent dans le cœur de leur peuple tous les bons instincts qui font sa force ? Est-ce l’envie, sont-ce les passions mauvaises qu’ils allument ? N’est-ce pas la droiture, la loyauté, toutes les vertus de ce peuple qu’ils invoquent et qu’ils appellent au secours de la vieille Allemagne ? Cessez donc de croire que vous êtes les fils de ces hommes de cœur ; ils ont fondé l’esprit national, et vous l’avez détruit. N’admettez-vous pas, en effet, qu’il n’est qu’un seul moyen de ranimer cet esprit, à savoir de susciter, de mettre en lumière ce qui forme le fond même de la nation, ces instincts, ces vertus qui appartiennent aux hommes d’une même race, et sont comme la patrie spirituelle où ils s’unissent ? Or, vous avez fait tout le contraire. Quoi donc ? Aimez-vous mieux prétendre contre moi que l’esprit de votre peuple n’est plus la loyauté, la franchise, la droiture, la sympathie généreuse, et que c’est sur l’envie et le mensonge qu’il faut fonder aujourd’hui les destinées de l’Allemagne ? Je vous conseille d’aborder franchement cette thèse ; elle éclairera tant d’honnêtes gens que vous avez conduits, les yeux fermés, à ces luttes impies.

Depuis quelque temps, les affaires intérieures de l’Allemagne ont fait un peu cesser ces invectives de la presse contre nous. Les évènemens dont je parlais tout à l’heure, l’exil de l’école hégélienne, la destitution de M. Bruno Bauer, prononcée la même année, la résistance enfin que la Prusse opposait aux violences des doctrines nouvelles, attiraient naturellement toute l’attention de la presse allemande. Les gouvernemens qui avaient vu avec plaisir s’enraciner dans l’esprit du peuple cette haine du nom français, furent attaqués a leur tour, et, comme cela arrive nécessairement, dès qu’il a fallu réclamer quelques libertés, on s’est souvenu que ce peuple de France n’était pas tout-à-fait inutile au monde, et qu’il représentait une certaine somme de vérités et de croyances qu’on pouvait invoquer. Nihil sine Gallis, c’était l’opinion de l’Europe au moyen-âge, et on dit que M. Ruge va reprendre cette vieille et sainte devise. Nous ne nous sommes ni effrayés ni affligés des injures de la presse allemande, nous ne devons pas plus nous enorgueillir de ses hommages. Assistons avec sympathie au développement de l’Allemagne, en souhaitant surtout à ce pays de retrouver le génie idéaliste qui nous le faisait aimer.

Jusqu’à présent, en effet, il ne semble pas que ce besoin de la vie pratique, que ces préoccupations d’une politique étroite, si peu conformes à l’esprit allemand, puissent profiter beaucoup à sa gloire. La politique, qui envahit tout dans ce pays, a déjà produit plus d’une