c’est le journalisme dans des proportions épiques. Au lieu d’une polémique vulgaire, tout est transformé par la fantaisie de ce poète irrité. On assiste à de formidables dialogues entre l’Europe et Napoléon, un des artifices de l’écrivain étant de mettre en scène son glorieux adversaire, et de lui faire publier ses plus secrètes pensées. L’épilogue de ce drame, écrit avec toutes les passions du moment, ce sera, si l’on veut, ce discours étrange que Goerres met dans la bouche de l’empereur, et que le grand exilé adresse à la France du fond de son île : « Ô peuple que j’ai conduit jusqu’ici, la puissance qui m’a envoyé t’avait choisi pour être mon instrument. Comme tu n’avais ni caractère ni forme propre, je t’ai donné la mienne, et je te la laisse en héritage. Ils m’ont chassé de ton sein, mais tu es moi, et ils ne m’auront pas détruit tant qu’ils ne seront pas parvenus à t’anéantir toi-même. J’ai vaincu la révolution, mais maintenant je te la souffle dans l’ame. Le feu qui me brûlait, je te l’ai versé dans la poitrine, et bien que sa fureur soit toute comprimée en toi, bien qu’il ne jette qu’une faible lueur, il éclatera un jour en gerbes de flammes. La discorde est devenue le fond même de ton être, et la haine empoisonne ton sang. Un démon sauvage et insensé a pris possession de ton cœur ; les vieilles chansons de ton berceau ne le conjureront pas. Je t’ai fait un besoin de la guerre… »
C’est ainsi que Goerres voulait armer l’Europe entière contre nous. Au milieu de ces luttes gigantesques, je comprends cette polémique, et je sais que je puis honorer, dans ce fougueux pamphlétaire, un noble et sérieux ennemi ; mais, trente ans après la bataille, ressusciter les vieilles haines, essayer de rajeunir les plus absurdes préjugés, et par une basse jalousie de la France, descendre contre elle à de ridicules colères, était-ce là le devoir de cette presse nouvelle ? Était-ce pour cela qu’il était si urgent d’interrompre les destinées de l’Allemagne, et, de quitter si brusquement les spéculations de la pensée ? On ne sait pas assez en France jusqu’à quel degré de puérilité et de barbarie peut s’abaisser ce peuple que nous persistons à nous représenter comme le plus sérieux de la terre. Je reconnais volontiers qu’il ne faut pas trop se préoccuper de ces insultes, et qu’elles sont plus tristes pour l’Allemagne qu’effrayantes pour la France ; mais si ces écrivains étaient assez calmes pour m’entendre, je voudrais leur dire : Que vous êtes loin de 1831 ! et que votre erreur est profonde, si vous pensez avoir reproduit l’enthousiasme de cette époque ! Ouvrez les livres de Goerres, relisez les chansons de Arndt ; n’y voyez-vous pas, avant toute chose, cet orgueil de la loyauté alle-