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REVUE DES DEUX MONDES.

émotion les ombrages paternels et la demeure où je suis né. Ma tête est en feu ; une ardente inquiétude m’agite et me dévore. Que se passe-t-il ? que va-t-il se passer ? Que résultera-t-il du coup affreux qu’il me reste à porter ? À ces questions, ma raison se perd. Toi cependant, unique confident de cette lamentable histoire, prends pitié de deux infortunés ; soutiens-les l’un et l’autre dans cette dernière épreuve. Dirige la main qui veut et qui n’ose frapper ; le coup porté, sois tout entier à la victime.

KARL STEIN À FERNAND DE PEVENEY.

Du calme, du sang-froid ! Tâchons de ne point mettre à tout ceci plus de solennité que la situation n’en comporte. Dis-toi bien d’abord qu’il ne t’arrive rien que de simple et de très vulgaire : tous les hommes ont passé par là. Ton histoire court les rues ; tu l’as coudoyée vingt fois sans t’en douter. Ne te flatte donc pas de l’idée que tu as ouvert une nouvelle voie, et que tu explores en ce moment des terres inconnues et des landes désertes. Sache au contraire que tu viens d’entrer dans un chemin battu, où tu ne saurais manquer de rencontrer bonne et nombreuse compagnie. Je conviens que la route est rude, et que tous ceux qui l’ont faite avant toi n’en ont emporté ni les ronces ni les épines ; mais il ne faut, pour en sortir, qu’un peu de courage et de volonté : nous en aurons, Fernand ; tu me l’as promis, et j’y compte.

Tu es parti, c’est bien. En ces sortes d’exécutions, mieux vaut frapper de loin que de près ; la main est plus ferme, le trait plus assuré. On n’assiste point aux convulsions de la victime, on n’entend pas ses cris, on ne voit point ses larmes, et l’on échappe ainsi au spectacle le plus déplorable que puisse offrir la passion aux abois. Ajoute que la victime elle-même en est plus calme et plus résignée, car en ceci les femmes ressemblent fort aux enfans, qui tombent et se relèvent sans pleurer, s’il n’est personne autour d’eux pour les plaindre et pour les consoler.

Tu souffres et tu t’effraies du coup qu’il te reste à porter : c’est ainsi que, dans les jeunes ames, il survit long-temps à l’amour un sentiment d’honneur et de probité impérieux autant que la passion. On aime avec sa conscience long-temps après qu’on a cessé d’aimer avec son cœur. Je suis convaincu, toutefois, qu’en retranchant de ses scrupules l’orgueil et la vanité qui s’y mêlent, on se sentirait plus tranquille. Quelle étrange présomption de croire que, parce qu’on