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SITUATION INTELLECTUELLE DE L’ALLEMANGNE.

de gages donnés à l’orthodoxie, il s’abuse étrangement. Mais n’insistons pas sur ces questions si délicates ; je veux croire que l’esprit ultramontain ne réussira pas là plus que chez nous, je veux croire qu’il n’y étouffera rien. Munich restera le centre du midi, elle ouvrira un refuge à de nobles lutteurs fatigués ou à de doux penseurs qui rectifieront paisiblement les théories du nord. Toutefois, répétons-le, Munich ne peut prétendre au sceptre des idées. Les maîtres qui auront l’ambition de régner sur l’Allemagne abandonneront toujours le midi pour ces universités du nord, plus hardies, plus vivantes, qui aiment et sollicitent le complet épanouissement de la pensée. Lorsque Schelling et Hegel quittèrent cette petite chambre, désormais consacrée, où ils étudiaient ensemble à Tubingue, lorsque, maîtres de leurs forces, ils voulurent gouverner la science de leur pays, c’est dans le nord, c’est à Iéna, c’est à Berlin qu’ils purent parler librement. J’ai hâte de les y suivre.

III.

Un grand mérite de la Prusse, c’est de n’avoir pas craint les idées. Soit habileté politique, soit véritable sympathie, la Prusse s’est associée à toutes les espérances, à tous les efforts de l’esprit allemand. Loin de redouter la philosophie, elle a fondé sa puissance sur le développement des forces intellectuelles. Elle a encouragé, elle a provoqué la pensée, elle lui a donné des libertés inouies et des occasions éclatantes. Elle a voulu, à force de respect pour les droits de la science, expier le scepticisme de Frédéric-le-Grand et ce dédain injurieux dont il avait frappé la langue et la littérature de son pays. Enfin, comme elle prétendait agir, elle devait se placer résolument au milieu de tout ce qui fait la vie ; elle devait relever le génie de l’Allemagne pour se faire couronner par ses mains.

L’université de Berlin, qui n’a que trente ans d’existence, est déjà une souveraine légitime à qui toutes ses sœurs rendent hommage. Son histoire a quelque chose de hardi et de courageux qui lui sied et qui la rend bien digne de représenter cette science saxonne. Elle est née dans les larmes, au milieu de l’abaissement de la Prusse, quatre ans après la bataille d’Iéna. Ce fut à l’époque où ce pays pouvait être rayé de la carte, qu’il se réfugia sous la protection de l’esprit. Cette noble foi ne l’a point perdu, ce semble. Cette monarchie militaire, abattue à Iéna et à Auerstaedt, et mise à deux doigts de sa