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musées qui s’élevaient partout à la fois, cette ville se laissa prendre à ce déploiement de richesses extérieures ; elle se crut l’Athènes de l’Allemagne. Elle oubliait la signification tout autrement sérieuse de l’art athénien, et qu’auprès de Phidias il y avait Sophocle et Platon.

Tandis que cette école érudite, tandis que M. Cornélius et M. Hess, M. Schnorr et M. Schwanthaler s’appliquaient à reproduire les types des différentes époques de l’art, sans poursuivre eux-mêmes un idéal qui put leur appartenir, c’étaient aussi les doctrines et la science du passé qui semblaient de plus en plus s’établir à Munich. La Bavière ne voulait pas, comme l’Autriche, se séparer sans retour des intérêts de la pensée ; mais elle craignait, comme elle, ces luttes de l’esprit : elle ne se sentait pas assez forte pour supporter ces combats de l’intelligence, elle préféra ouvrir un asile aux blessés, et n’accueillir les systèmes et les penseurs que le jour où, fatigués et chancelans, ils quitteraient le champ de bataille et aspireraient au repos. C’est là le caractère de Munich : c’est là, si l’on veut, son charme et son originalité. Quand vous aurez parcouru ces bâtimens inachevés, ces cathédrales, ces basiliques qui s’élèvent, quand vous aurez vu dans ce laborieux atelier ce singulier mélange de toutes les traditions très habilement réunies, la grace un peu gauche et naïve des maîtres de Nuremberg, l’élégance florentine, la sublime inexpérience de l’art grec dans les marbres d’Égine, allez à l’université, allez interroger les maîtres de la science. Quels sont les représentans de la philosophie ? Des hommes qui ont donné ailleurs tout ce qu’ils avaient d’énergie vivace, et qui, le soir du combat, sont venus se reposer dans le mysticisme. Qui donc ? Hier, M. de Schelling ; aujourd’hui, M. Gœrres.

Que ce fougueux écrivain, si ardent, si dévoué aux idées, que Gœrres, après la vie la plus passionnée qui fut jamais, soit venu chercher le repos à Munich et s’y éteindre doucement dans un catholicisme poétiquement rajeuni, c’est là un fait qui indique très clairement le caractère particulier de cette ville. Certes, on n’eût pensé, il y a trente ans, que le rédacteur du Mercure du Rhin pourrait être admis un jour dans cette calme université, et qu’il y aurait une place pour lui à côté de M. Franz Baader. Il était mystique déjà, mais son extase avait quelque chose de gigantesque et de révolutionnaire comme ses passions politiques. Dans son imagination orientale, il avait été surtout frappé des rapports du christianisme avec les religions de l’Asie, et, unissant toutes ces relations secrètes il se composait un mysticisme, non pas chrétien seulement, mais