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SITUATION INTELLECTUELLE DE L’ALLEMANGNE.

un tribun qui soulève les passions, mais un législateur qui veut créer un peuple. Ce peuple existe, il est nombreux ; il faut seulement lui apprendre ce qu’il est, il faut lui donner la conscience de lui-même. C’est à cette tâche que s’emploie M. le comte de Thun. Son livre est une rapide histoire des lettres en Bohême, un tableau clair, animé, destiné à devenir populaire. L’auteur raconte avec beaucoup d’intérêt l’époque où la langue nationale fleurissait dans sa première beauté, vers le XVe et le XVIe siècle, au milieu des querelles religieuses qui donnèrent un prompt développement à la pensée. Sous la plume hardie de Jean Huss et de Jérôme de Prague, cette langue était arrivée à sa maturité, et tandis que d’autres langues, la française et l’allemande, travaillaient encore à se constituer définitivement, celle-là, comme l’italienne, était arrivée plus tôt à une formation complète. En Bohême, comme plus tard en Allemagne, c’étaient les réformateurs qui avaient fixé l’idiome, et Jean Huss avait rendu à la littérature de son pays le service que Luther rendit un siècle après à la littérature allemande. Mais le mouvement des querelles religieuses reprit bientôt à la Bohême ce qu’il lui avait donné. La guerre de trente ans amena l’entière extinction de cette littérature originale, et la langue allemande envahit le pays conquis. Depuis cette époque, M. de Thun suit avec une pieuse sollicitude les rares tentatives faites, à de longs intervalles, pour l’étude de cette langue disparue. Il nomme avec un touchant respect tous ces grammairiens, ces auteurs de dictionnaires qui, de loin, ont préparé le mouvement actuel ; malgré l’insuffisance de ces premiers travaux, il ne parle qu’avec émotion de ces hommes dévoués, car plus d’un parmi eux a consacré sa vie à un labeur ingrat dont les résultats très incertains ne pouvaient être connus que long-temps après leur mort. C’est Dobrowsky écrivant une grammaire avec une piété patriotique qui élève et sanctifie son œuvre ; c’est Pelzel qui donne la première histoire de Bohême ; c’est Faustin Prochazka qui étudie et publie les anciens documens, les monumens primitifs de la langue nationale. Puis, arrivant jusqu’à nos jours, l’auteur signale avec orgueil ce mouvement devenu si considérable, il nomme avec fierté les poètes, les écrivains, Kollar, Jungmann, Palacky, Safarick, Louis Gai ; il compte les recueils périodiques, il salue enfin toute une littérature. Son adversaire, je l’ai dit, ce n’est pas l’Autriche, c’est la Hongrie, ce sont les Magyares. Cette race fière, hautaine, bien que formée à la civilisation allemande, refuse toute sympathie à l’Allemagne et prétend se maintenir toujours dans sa pureté native. Or, la lutte silencieuse