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Certes, jamais injure plus grave n’avait été faite à l’Allemagne tout entière, et c’était l’incurie de l’Autriche qui en était coupable. Pourtant, je le répète, elle ne s’en est pas émue ; elle subit les nécessités de la situation qu’elle s’est faite, elle se résigne à ne pouvoir attirer à elle et à l’Allemagne ces peuples qui lui échappent. Elle laissera s’enfuir l’esprit et gardera le corps. Elle les retiendra par les liens matériels, par les avantages qu’ils trouveront à faire partie d’un grand peuple ; mais, pendant ce temps-là, un autre esprit se sera fondé dans les provinces slaves, et l’unité, que l’on croira atteindre, sera toujours une apparence et un mensonge.

Il y a plus encore : non-seulement ce n’est pas l’Autriche qui répond, mais elle laisse ce soin à un autre peuple engagé comme elle dans la question, et dont les intérêts ne sont pas les siens. Elle permet que le débat s’établisse entre les Slaves et les Hongrois, sans que le nom de l’Autriche soit seulement prononcé, et comme si elle n’était pas en cause dans cette lutte singulière. C’est la Bohême, on le sait, qui est en Allemagne le foyer de la race slave, c’est elle qui essaie de régénérer cette race et de lui rendre, avec sa langue nationale, son esprit, son caractère, ses espérances. Elle a dit tout haut ses projets, sans que l’Autriche parût s’en effrayer ; mais tout à coup voilà qu’elle rencontre une vigoureuse opposition en Hongrie. La Hongrie ne veut pas que les Slaves hongrois, les Esclavons, se constituent d’une manière distincte, elle ne veut pas qu’ils puissent parler la langue de leurs ancêtres. Quand la langue latine était la langue officielle du pays, les idiomes particuliers pouvaient se développer en liberté ; cette situation devenait dangereuse pour la Hongrie, en face de ce mouvement universel. La Hongrie remplace donc la langue latine par la langue des magnats, la langue magyare, et elle s’apprête à faire disparaître tout ce qui reste encore de ces traditions qu’on invoque.

L’Autriche assiste, sans y prendre part, à cette lutte qui dure encore. Les deux pays, la Bohême et la Hongrie, y sont dignement représentés, et ce débat a déjà produit plusieurs écrits remarquables. Il faut citer au premier rang le curieux travail que M. le comte de Thun a publié l’année dernière sous ce titre : De l’État actuel de la littérature en Bohême et de son importance. M. le comte de Thun est un des chefs de ce mouvement de la race esclavonne ; c’est lui surtout qui semble donner l’élan à ces idées qui apparaissent sur différens points de la Bohême et de la Hongrie. Au grave enthousiasme de ses espérances, à l’ardeur sévère de ses efforts, on dirait non pas