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SITUATION INTELLECTUELLE DE L’ALLEMANGNE.

presse de recueillir, non, c’est d’une chose plus grave qu’il s’agit, c’est l’esprit même de leur race que les Slaves bohémiens veulent retrouver sous ses ruines. Pourquoi cela, pourquoi ce mouvement si tardif ? Pourquoi, après tant d’années, ce réveil inattendu ? Parce qu’ils cherchent à quoi se rattacher dans l’abandon où les a laissés l’Allemagne. Qu’est-ce à dire ? Voilà des pays entiers que l’on croyait entrés pour toujours dans les voies de l’Allemagne, et tout à coup on les voit, dans le dénuement le plus complet, se chercher eux-mêmes à travers les siècles et se décider à trouver leurs voies tout seuls, puisque l’empire dont ils avaient suivi la fortune les a conduits dans le désert. On avouera que c’est là un fait étrange. Ce débat est tout pacifique ; point d’oppression, point de servitude ; ces peuples ne se plaignent d’aucune violence, et ce n’est pas à l’Irlande qu’on pourrait les comparer. Leur situation est unique et sans exemple. Ces Slaves de Bohême et de Hongrie avaient cru long-temps, et l’Europe avait pensé, comme eux, qu’ils entreraient, sous l’influence de l’Allemagne, dans le mouvement des nations européennes ; mais non, il n’en était rien. Après avoir patiemment attendu, un jour, fatigués et poussés à bout, ils ont été forcés de reconnaître que la vie n’était pas dans cet empire, qui avait charge de les diriger, et n’y trouvant pas à satisfaire ces besoins intellectuels qui travaillent aujourd’hui la famille slave, ils ont décidé sans colère, mais avec le calme le plus résolu, qu’ils ne devaient plus compter que sur eux-mêmes.

Voilà ce qui se passe dans ces contrées ; mais, chose singulière, ce n’est pas l’Autriche qui s’en est émue, et son insouciance sur ce point n’est pas ce qu’il y a moins curieux dans le débat. L’Autriche n’a rien répondu ; elle n’a pas eu un seul écrivain pour rappeler ces peuples qui s’éloignaient. Pourtant les publicistes slaves, M. Kollar, M. le comte de Thun, avaient publié franchement leur pensée. Lorsqu’ils rejetaient dans leurs écrits toute influence allemande, lorsqu’ils annonçaient leur intention de retrouver dans l’esprit seul de leur race leur règle et leur but, ils avaient parlé, ce semble, assez haut. Or, ce qu’ils disaient à l’Autriche pouvait se traduire ainsi : « Depuis tant de siècles que la Bohême est réunie à vous, elle avait quitté la voie des peuples slaves, et elle était prête à entrer par vous dans le mouvement des nations germaniques. Nos pères vous ont suivis long-temps, mais que leur avez-vous donné, et maintenant que nous apportez-vous ? Où est la vie, où est le mouvement des esprits, où est l’énergie de la pensée ? Nous ne vous suivrons pas plus loin. »