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LA SIRÈNE.

Heurtant du javelot le bord du bouclier,
Suit, un pied dans le sang, les leçons de la lyre.
Des hommes et des dieux providence ou délire !
Des grottes du Caucase, où l’arbre échevelé
Répète au fond des bois le mètre révélé,
Des chaumes d’Arcadie, où le chœur des cigales
Mêle aux cent voix de Pan ses voix toujours égales,
Des pieds bleus de l’Olympe à la blanche Délos,
Où le roseau préside à la danse des flots,
Cent peuples enivrés du chant de la Chimère,
En cadence emportés par tout bruit éphémère,
De pensers en pensers, de sommets en sommets,
La convoitent partout sans l’étreindre jamais.


Alors, le sein baigné des longs pleurs de sa grotte,
Seule avec l’aquilon la Sirène sanglotte ;
Et le puits de l’abîme entend son chant d’adieu :


Pourquoi chanter encor quand tout fuit et tout passe ?
Nul chanteur ne m’attend jamais en aucun lieu.
Une ombre, quelquefois, qui s’assied sur ma trace,
Me répond ; je fais signe. Elle approche. J’embrasse
Le froid tombeau d’un demi-dieu.

La perle orne la perle ; et, tous deux nés ensemble,
La nymphe a, dans les bois, le faune pour amant.
Mais, dans l’immensité, quel être me ressemble ?
Partout un froid démon autour de moi rassemble
Les monstres de l’isolement.

Écume soulevée au souffle d’une femme,