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Quand l’Autriche aurait voulu s’associer aux tentatives nouvelles de l’esprit allemand, elle n’y aurait pas réussi ; mais elle ne pouvait même concevoir une telle ambition. Elle est liée irrévocablement à des traditions toutes différentes. Peu importe qu’il y ait chez elle un peuple honnête, heureux, et que toute l’organisation matérielle de la société y laisse, dit-on, peu à désirer : comme elle est une terre ingrate pour les semences de la pensée, et que le fruit divin de la science ne pousse pas dans ses sillons, peu à peu les étrangers qui étudient l’Allemagne se sont habitués à ne plus compter avec ce pays ; ils le négligent, ils l’oublient. Et remarquez que cette condamnation, si dure qu’elle puisse paraître, est parfaitement équitable. Les étrangers ne peuvent avoir, comme les Allemands, la religion des souvenirs. Ce qu’ils cherchent en Allemagne, c’est son esprit, son génie vivant, sa force vivante ; et le pays qui ne peut servir le monde moderne, qui ne sait pas s’associer à ses efforts, à ses luttes, quel que soit d’ailleurs son nom, empire ou royaume, finira toujours par n’être plus considéré que comme une province, paisible et heureuse, je le crois, mais trop dépourvue de ce qui fait la vie.

Toutes les universités d’Allemagne, faibles et obscures à l’origine, ont eu leur période de gloire et d’éclat à la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci. Fondées presque toutes vers l’époque de la renaissance, et honorées alors par des hommes pleins d’ardeur, elles ont produit, depuis soixante ans, de véritables héros de science et de génie qui ont laissé bien loin leurs ancêtres. Conrad Celtès, Reuchlin, Dalberg, Rodolphe Agricola, ont eu pour successeurs tout puissans Schleiermacher, Creuzer, Niebuhr, Ottfried Müller, Kant, Fichte, Schelling, Hegel. À Vienne, tout au contraire, l’université n’a brillé que dans les vieux siècles, et depuis elle est morte. Sa période la plus belle est toujours celle qui a été vue et racontée par Sylvius Æneas. Aujourd’hui, on n’y cultive plus que les sciences physiques ; car pour les sciences de la pensée, si hautes, si périlleuses, il faut des pontifes hardis et libres que le pouvoir temporel ne gêne point dans leur sacerdoce. Cette religion sainte, qui est la gloire de la véritable Allemagne, est opprimée ici. Vienne peut nommer avec honneur un illustre astronome, M. Littrow ; un géologue distingué, M. Fladung ; un savant orientaliste, M. de Hammer ; mais, à côté d’eux, quels autres noms citerai-je ? Si M. Gunther a pu renouveler la théologie catholique avec une science réelle et un mysticisme extrêmement libre et ingénieux, c’est là une exception unique qui ne détruit pas ce que j’ai affirmé.