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LIVERPOOL.

rideau séparant les femmes des hommes. Pour les moins magnifiques, on étend de la paille dans une cave, et l’on y entasse pêle-mêle autant d’êtres humains que ce bouge en peut contenir ; mais aussi le prix n’est que d’un penny.

Entre la bourse et la prison, un pâté de rues étroites et de cours infectes, dont Ray-Street et Highfield-Street sont les plus connues, est le quartier-général des recéleurs et des gens sans aveu. Il n’y a pas de jour où la police n’ait quelque descente à y faire, et le bruit des rixes qui éclatent à chaque instant avertit au loin les gens honnêtes d’éviter un endroit aussi impur.

Ce soir-là, par extraordinaire, la cour des miracles de Liverpool était d’un calme désespérant. Lorsque nous atteignîmes Highfield-Street, les habitans du lieu étaient rentrés chez eux comme de bons bourgeois. On n’apercevait dans la rue qu’une seule maison éclairée à cette heure : c’étaient une trentaine d’Irlandais rassemblés pour veiller devant le corps d’un enfant, et qui, dans leur dévotion superstitieuse, célébraient dans une chambre ouverte, à la clarté des flambeaux, les rites à demi païens de leur pays. Cependant les locataires attardés arrivaient un à un, et, voyant des étrangers, ils se glissaient en silence le long des murs ; les portes entrebâillées se refermaient aussitôt derrière eux.

J’aurais craint de porter mes regards au-delà, car je me rappelais que tout Anglais considère la maison qu’il habite comme un château-fort, où nul ne doit pénétrer sans son consentement ; mais la police a des priviléges, même sur cette terre de liberté. Toutes les portes auxquelles M. Whitty frappa s’ouvrirent sans délai ; partout l’hôte ou l’hôtesse mit le plus grand empressement à nous montrer le logis jusque dans ses moindres détails ; et couché ou à demi vêtu, homme ou femme, malfaiteur, vagabond ou mendiant, pas un des singuliers habitans de Highfield-Street ne parut contrarié de notre visite. Je ne décrirai pas l’ameublement de ces garnis ; des hommes vêtus de haillons pendant le jour trouvent très naturel qu’on leur donne des haillons pour couverture pendant la nuit. Tout ce monde-là semblait reposer à son aise ; souvent cinquante personnes étaient amassées dans un espace qui ne contenait de l’air respirable que pour huit ou dix. Voici, au surplus, le type des garnis souterrains tels qu’on peut les voir à Liverpool et à Manchester. Le logis se compose de trois pièces : une avant-cave, qui sert à la fois de cuisine, de salle à manger et de chambre à coucher, puis deux arrière-caves, dans chacune desquelles sont deux lits juxtaposés. La pièce principale