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LIVERPOOL.

sont ouverts et resplendissent de lumière. Les revendeurs, criant leurs denrées, font un sabbat à ne pas s’entendre. Les enfans vous courent à travers les jambes ; les femmes vont régler chez les détaillans les comptes de la semaine et acheter à crédit les provisions de celle qui suivra ; les hommes remplissent le palais du gin, s’enivrent et se battent dans les rues. Les prostituées sortent par essaims, et arrêtent les passans presque de vive force dans leurs filets de chair. Les filous, disposés par bandes, font la presse au milieu de la foule affairée, cherchant leur bien dans les poches d’autrui. La police, enfin, surveillant cette agitation universelle, est obligée de multiplier ses mouvemens. Je plains l’étranger qui se jetterait seul en observateur au milieu d’une telle orgie. Il éprouverait un isolement plein d’effroi, comme s’il était placé entre deux armées prêtes à combattre. Traqué par la Vénus impudique, coudoyé par les ivrognes et renversé par les voleurs, les agens de police ne le relèveraient pas ; ce jour-là et à cette heure, la surveillance de répression fait oublier la surveillance de protection. Mais, minuit sonnant, l’orgie s’arrête : toutes les portes se referment, et le peuple commence à se recueillir. C’est dimanche. On n’entend bientôt plus dans les rues que le sifflet des malfaiteurs qui s’appellent, et le bâton ferré des inspecteurs de police qui retentit sur le pavé pour avertir les agens de veiller et d’être attentifs.

J’ai parcouru la nuit les divers quartiers de Liverpool, accompagné du surintendant de la police, M. Whitty, qui avait bien voulu me servir de guide. Cette reconnaissance, que j’ai faite dans les principales cités de l’Angleterre et de l’Écosse, ne serait pas possible en France. La police, chez nous, est une institution que l’on tolère de peur d’un plus grand mal, mais que l’on envisage avec un certain mépris. Cela tient sans doute à la nature des moyens qu’elle emploie, et qui font qu’on lui sait peu de gré des services qu’elle rend. En Angleterre, la police n’a pas d’agens secrets, et elle ne dénonce personne. Chargée de réprimer les délits et de protéger les citoyens honnêtes, gardienne des personnes et des propriétés, elle est considérée comme une véritable magistrature. Le peuple la respecte partout ; dans quelques villes, ce respect va jusqu’à l’affection. C’est ce que l’on peut voir à Glasgow, ville pourtant bien turbulente, où les querelles entre les ouvriers vont jusqu’à l’assassinat. Là, dans les plus affreux quartiers, dans ces wynds tristement célèbres par l’insalubrité, par la misère et par le crime, j’ai entendu avec émotion la populace s’écrier, sur les pas du surintendant de la police qui m’en faisait les honneurs : « Longue vie au capitaine Miller ! Dieu vous bénisse, ca-