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tures, et leur arrache des écoles, des institutions de prévoyance, des établissemens de charité.

Rien n’est plus triste à voir que Liverpool. Une ville de briques, rembrunie par le temps, se détache encore avec majesté sur un ciel du midi. Voyez Toulouse : la sombre cité a sa poésie qui parle à l’imagination comme un drame dans la vie réelle ; mais sous le climat de l’Angleterre, une ville née d’hier prend aussitôt cette livrée de la vieillesse. Sa physionomie est quelque chose d’informe et de lugubre qui attriste sans faire penser. Le brouillard et la fumée retombent en colonnes funèbres sur les rues. Les maisons suent l’humidité. Les hommes, vêtus de noir, sont silencieux et raides. On dirait que cette atmosphère opaque glace la parole ainsi que la joie.

Qui veut connaître Liverpool doit y descendre le soir, à la clarté du gaz qui en illumine les rues. Le jour, chacun vaque à ses affaires avec une activité fébrile et qui ne se laisse pas détourner ; les hommes sont tous des manœuvres ou des chiffres, et le mouvement les étourdit comme d’autres l’inaction. Dès que la nuit arrive, la ville se réveille et s’anime pour quelques heures. Le travail a cessé partout ; la population ne songe plus qu’au plaisir. Si ce n’est pas la gaieté de Naples, c’est peut-être le même empressement. Liverpool avait ses théâtres en plein vent, devant lesquels le peuple s’assemblait comme dans une ville italienne ; mais les mœurs anglaises ne s’accommodent pas des spectacles à bon marché (penny theatres), et la corporation municipale les a interdits. La foule est donc réduite à circuler devant les boutiques, dont elle admire le luxe, ou à s’enivrer phlegmatiquement dans les cabarets ; ceux qui ont la bourse mieux garnie entrent en conversation avec les prostituées dans les carrefours, ou se mêlent aux habitués des salons, qui sont des espèces de théâtres-cafés ; les plus rangés vont assister à quelque meeting religieux, philantropique ou politique, et se dédommager par d’interminables discours du silence de la journée.

Ce phénomène d’une ville anglaise en liesse est particulièrement visible le samedi soir. Le samedi soir est chaque semaine, à Liverpool, ce que la matinée du mercredi des Cendres est une fois par année dans les états catholiques du continent. Qu’on se figure une bacchanale sur le seuil d’un édifice consacré à la religion. Ce jour-là, les ouvriers et les matelots ont reçu leur paie ; les négocians et les commis, ayant réglé leurs écritures, ont du loisir à dépenser. Qui profitera de ces dispositions libérales, sinon les cabaretiers, les boutiquiers, les filles de joie et les voleurs ? Jusqu’à minuit, les magasins