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magne, inquiétudes graves et légitimes. Ce n’est pas tout : le jour où elle a cherché à réaliser cette unité, le jour où elle a commencé cette tâche difficile, un danger tout autrement sérieux s’est révélé, qu’elle ne soupçonnait pas. Ce travail a jeté un trouble profond dans son génie. Elle a été comme ébranlée par les difficultés de l’entreprise que ses destinées lui imposaient. En quittant le monde paisible de la pensée pour les épreuves de la vie publique, elle a renoncé à ce qui faisait depuis long-temps sa gloire, sans avoir trouvé encore ce qui doit la dédommager un jour. Mais il faut revenir sur tout ceci avec plus de détails ; pour embrasser du regard toute l’Allemagne, pour indiquer le travail qui s’y opère en ce moment même, il faut placer l’une en face de l’autre les villes que je nommais tout à l’heure, et montrer ce que signifient ces trois noms.

I.

Le 12 juillet 1806 fut un jour néfaste pour Vienne. Ce jour-là, l’antique couronne du saint-empire, qu’elle portait depuis tant d’années, tomba de sa tête caduque. Il y avait long-temps, il est vrai, que l’héritage des Habsbourg s’était appauvri dans ses mains, et depuis qu’en 1765 un jeune héros avait achevé de transformer un ordre de chevalerie en une nation belliqueuse et forte, le saint-empire, inquiété au dedans par ce voisinage redoutable, surpris au dehors par des évènemens inattendus et terribles, frappé par l’épée de la révolution française, tout étourdi par cette politique audacieuse du premier consul, qui, créant à son gré de nouveaux électeurs, troublait la vieille constitution et s’essayait déjà à manier souverainement l’Allemagne, le saint-empire des Othon n’était guère plus qu’une ombre. Qui sait cependant combien de temps encore l’Autriche eût pu garder son sceptre ? Sans la rapidité des évènemens qui remplissent ces années épiques, qui sait si elle n’aurait pu rallier autour de cette ombre respectée une partie considérable des peuples allemands, et si, tandis que la Prusse retirait son appui à l’empire, les mécontentemens suscités par cette politique n’auraient pas réuni les princes et les peuples du midi autour du trône impérial ? Mais les coups des évènemens contemporains étaient trop brusques, trop pressans ; on ne pouvait se jeter dans une place impossible à défendre pour se faire écraser sous ses ruines, et ce furent précisément ces princes de l’Allemagne méridionale qui si-