Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/993

Cette page a été validée par deux contributeurs.
987
DE LA LITTÉRATURE MUSULMANE DE L’INDE.

appelé dans la capitale du Bengale par lord Wellesley, rédigea, sous la direction du docteur Gilchrist, entre autres ouvrages importans, son Araïsch-i-Mahfil, statistique et histoire de l’Inde, livre précieux où des vers descriptifs pleins d’élégance se mêlent à une prose facile et remarquable par sa précision. Grace aux lignes rimées qui coupent le texte, ce travail devient plus littéraire encore que scientifique ; mais on peut pardonner les ornemens du style et les élans un peu hardis de l’imagination à celui qui peint au passage tant de merveilleux édifices et de fabuleux évènemens. Un autre professeur du Fort-William, Mirza-Ali, agrandit la sphère de ses études, et, embrassant à la fois trois époques, il mit en prose ourdou et sous forme de roman la dramatique histoire de Sacountala, rédigea sur la version persane de Firischta les chroniques de la dynastie Bahmanie du Deccan, et déploya dans ses tableaux des Douze Mois (Barah-Mâca) la longue et curieuse série de fêtes qui se partagent l’année hindoue et musulmane. Ce sont là des ouvrages de bibliothèque, à côté desquels il faut placer ceux que les écrivains mahométans, sous la direction de leurs maîtres, traduisirent du persan avec un soin particulier : les chroniques d’Assam, où l’on trouve de précieux documens sur la géographie de cette contrée, peu connue en Europe, et sur les peuples qui l’habitent ; l’histoire de Tabarî, les faits et gestes d’Akbar, en un mot tous les manuscrits célèbres en Orient, dans lesquels ont été consignées, à des époques diverses, les annales des grands empires. Un écrivain orthodoxe du royaume de Golconde, Jafar Scharif, donna dans son Canoun-i-Islam (Règles de l’Islam) l’ensemble des rites et cérémonies usités chez les musulmans du sud depuis le moment de la naissance jusqu’à l’heure de la mort. Dans les trois présidences, il parut aussi des travaux de linguistique ; une grammaire en vers fut rédigée à Calcutta presque en même temps qu’une seconde en prose, écrite à Bombay et dédiée au gouverneur Elphinstone, et, dans ces dernières années, un professeur de Madras réunissait en un glossaire spécial tous les mots propres au dialecte du Deccan, tels qu’il les avait recueillis lui-même, en voyageant dans les provinces où s’est formée cette langue d’oc de l’Inde. Enfin, il y eut union complète entre l’Asie et l’Europe, entre les descendans des Mogols et les conquérans modernes, entre les deux littératures surtout, quand Mîr-Haçan-Ali, musulman-hindou distingué, vint occuper une chaire dans la Grande-Bretagne, au collége d’Addiscombe, et y épousa une femme anglaise, qui l’accompagna ensuite à Laknaw et consentit à s’enfermer dans son harem.