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LA PEINTURE SOUS LOUIS XV.

à ces reines déguisées en bergères. On se détache du présent, on suit au vol ces colombes amoureuses, on s’égare tout ému dans ces bosquets odorans. Où va-t-on ? sur les bords du Lignon, ou dans les sentiers de Cythère ? De quel Éden rose et fleuri foule-t-on l’herbe naissante ? Le rêve ne dure qu’un instant ; ce paradis terrestre n’a jamais existé nulle part. Ces bergers n’ont jamais vécu, ce sont de pâles ombres de Watteau que Boucher a ranimées avec des roses. On s’en éloigne bientôt sans garder le charme qui vous avait saisi à la première vue, car Boucher avait surtout l’art de répandre un air de magie sur toutes ses fautes.

J’ai sous les yeux trois ou quatre de ses tableaux : l’Ivresse des Amours, Jupiter enlevant Europe, Mercure enseignant à lire à Cupidon, l’Escarpolette et le Panier fleuri. Ce dernier tableau est le plus joli. Le voici en deux mots : la bergère Astrée sommeille pieds nus, cheveux au vent, à deux pas d’une fontaine, contre une haie touffue et sans épines, du moins les épines sont cachées ; les jolis moutons blancs ruminent ou bondissent sur la prairie, où il y a plus de fleurs que de brins d’herbe ; le chien, tout enrubanné, veille sur le troupeau et en même temps sur l’imprudente bergère ; le ciel est d’une sérénité divine. Cependant quelques nuages çà et là, les nuages de l’amour. Il se fait un silence presque nocturne, à peine si on entend sourire la brise ; mais n’entend-on pas battre le cœur d’Astrée ? Elle sommeille, mais elle rêve ; on voit, au frémissement de ses jolis pieds, que c’est un rêve d’amour. Patience, le tableau s’anime et le berger Aminthe vient du bosquet voisin, vrai bosquet de Cythère ; il porte à la main un beau panier de fleurs, des fleurs de toutes les saisons ; le peintre les a cueillies sans ouvrir son almanach. Il y a même dans ce bouquet une fleur de nouvelle espèce à demi cachée par les autres ; cette fleur, qui gâte un peu le bouquet, mais qui ne gâte rien à l’affaire, c’est un billet doux. Le berger s’avance avec mystère, il sourit au chien vigilant, il suspend son panier fleuri à la haie touffue, contre le bras de la dormeuse qui ne dort plus, mais qui fait semblant. — Que celle qui n’a pas fait semblant de dormir lui jette la première pierre. — Astrée écoute donc, les yeux fermés ; elle entend le vent qui passe dans les roseaux, le murmure rafraîchissant de la fontaine ; quoi encore ? Vous le devinez : elle entend les roucoulemens du ramier et les soupirs du berger Aminthe ; elle respire un doux parfum de verdure, mais surtout l’enivrant parfum du panier fleuri. Ô pauvre innocente ! prends garde à l’amour, il est là qui saisit une flèche ! Le berger Aminthe s’est avancé d’un pas, sa bouche en a fait deux ; ici le chien jappe malgré les caresses du traître, mais le