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Quel repos, quelle sécurité dans la ville !… Comme les mortels passaient doucement leur vie ! Aujourd’hui, partout où l’on jette les yeux règne l’impudence, partout il y a des voleurs, des escrocs, des assassins. Devant la place du marché, la plaine de Talaori, si remplie de voleurs, a perdu toute sa célébrité… Celui qui se rend au bazar pour trafiquer d’un paiça (un sou) perd son turban et reçoit des coups à la tête. Comment en serait-il autrement depuis que Saïda Kaphor est notre chef de police ? Quand les voleurs reconnaîtront-ils l’autorité d’un homme pour lequel ils professent un si profond mépris ?… Il est le soutien des perturbateurs, le frère de ceux qui nous pillent ; il est lui-même un voleur. Devant sa porte, il a toujours des vauriens qui jettent la désolation de maison en maison. Non-seulement l’assassin arrive jusqu’à sa protection, mais encore il entretient des relations avec les petits escrocs. S’il voit sur la tête de quelqu’un un châle d’un grand prix, c’est comme si ce châle était la propriété de son père, son héritage !

« Au retour de la patrouille, le joueur de trompette fait résonner son instrument. « Écoutez, voleurs, en deux mots voici le décret : apportez au matin une part de vos travaux au chef de police ! » — Son espion le plus rusé, regardez bien, c’est encore un escroc, car tout ce qu’il a de gens employés à son service est passé maître dans l’art de voler… Mais malheur au propriétaire dans la maison duquel entrera leur maître ! Qu’il ait bien soin, ce propriétaire, que tout soit caché chez lui depuis la boîte aux parfums jusqu’à la cassolette au bétel, car telle est l’agilité de leurs mains, qu’ils lui jetteraient de la poudre aux yeux, et celui qui demeurerait inattentif en leur compagnie perdrait jusqu’aux vêtemens qu’il porte sur lui… Parlerai-je de ce qui se passe au milieu de la ville ? Chaque soir, c’est un tumulte comme si le jour du jugement était venu ; la nuit, c’est une conversation de clairons, comme si les séraphins faisaient retentir leurs trompettes ; les chiens font un tel vacarme en aboyant, que les trépassés en sont éveillés du sommeil de la mort !… Jeunes et vieux ne s’assoient plus le soir au banquet sans avoir fait des provisions de guerre ; à l’éclat de l’aigrette d’or brillant sur le turban, le voleur arrive comme le papillon attiré par la bougie… Que les jeunes et les vieux portent leur jugement sur mes paroles ; ai-je grand tort en tout ceci, quand telle est la haute capacité des voleurs, qu’ils se servent de la voie lactée comme d’une échelle pour escalader la maison des cieux ? Et celui qui trouvera insignifiantes les plaintes de Sauda, celui-là en aura dérobé le vrai sens. »