Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/983

Cette page a été validée par deux contributeurs.
977
DE LA LITTÉRATURE MUSULMANE DE L’INDE.

tion semblait devoir placer en dehors de la masse des écrivains, et qui, à la vérité, n’en forment pas le groupe le plus choisi, nous avons voulu faire comprendre combien le goût de la poésie était répandu dans l’empire du Grand-Mogol durant le XVIIe et le XVIIIe siècle. Mais qu’était cette littérature mixte et mêlée, née d’une inspiration étrangère, produite par une religion dont les traditions étaient ailleurs, à l’aide d’une langue formée de tous les idiomes musulmans entés sur des radicaux sanscrits, et qui se développait comme une plante parasite sur l’arbre humilié de la nationalité hindoue ? C’était quelque chose de factice qui sentait la conquête ou au moins l’invasion, une imitation, souvent même une répétition de ce qu’avaient dit, dans un langage plus homogène ou plus parfait, les écrivains arabes et persans. Les poètes hindoustani, comme cela arrive toujours dans les temps de renaissance, où l’on prend des modèles loin du sol, semblent généralement moins préoccupés de mettre en lumière une pensée qui leur est propre que de remplir un cadre donné. Aussi ne trouve-t-on guère en eux cette originalité qui doit être le cachet de chaque littérature, comme elle l’est de chaque peuple ; ils ne sont plus Hindous ; leurs regards franchissent une vaste contrée peuplée de légendes, où chaque arbre est une divinité, chaque ruisseau un lieu de pèlerinage, où chaque pagode a sa chronique et ses miracles, pour chercher au-delà des mers la tombe du prophète. En s’interdisant avec rigueur la représentation, par la peinture ou la statuaire, de toute créature animée, les musulmans ont renoncé aux plus puissans effets de l’art ; dans le cadre de leurs édifices aux lignes harmonieuses et hardies, il y a un vide sensible que ne comblent ni le luxe des arabesques ni la profusion des détails ingénieux ; c’est la forêt avec ses fleurs, moins les oiseaux qui l’animent. De même, dans leurs poésies détachées, dans tout ce qui n’est pas poème et légende, récit élégiaque ou guerrier, il manque l’image de l’homme sous le point de vue de la vie intime, le côté dramatique et vivant, partout sensible dans les œuvres de la littérature brahmanique ; de là résulte une nature de convention hors de laquelle l’écrivain cherche à s’élancer par l’hyperbole. Le caractère à la fois contemplatif et sensuel des musulmans se trahit sans cesse dans ces odes soutenues, où l’union avec Dieu est représentée sous l’allégorie d’un amour plus terrestre ; l’intelligence du poète, singulièrement excitée, semble dans un état de délire voisin de celui que l’opium procure aux sens.

On conçoit dès-lors que les poètes hindoustani aient dû s’appro-