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le nom, Courban (sacrifice), était comme le présage de la mort glorieuse qu’il devait trouver à Faïzabad, en combattant contre les Anglais.

Pour compléter cette liste des anomalies littéraires dont l’Inde musulmane fournit tant d’exemples, nous prendrons encore, au palais et dans les faubourgs, deux noms de femmes. Le visir Amad-Ulmoulouk, qui déposa son maître Ahmed-Shah, lui creva les yeux, et donna le trône à Alamguir II pour l’assassiner bientôt après, ce ministre ambitieux et cruel eut la fantaisie de faire prendre à sa femme légitime la Begam Gannâ (canne à sucre) des leçons de rhétorique auxquelles, pour sauver le décorum, il assistait lui-même. Ces leçons firent de l’épouse du visir un poète assez médiocre, mais il est curieux de voir un mahométan de haut rang suivre l’éducation littéraire de sa femme légitime, et ne pas craindre de la voir occuper dans les biographies une place que des courtisanes seules lui disputeront ; car en Orient aucune femme ne reçoit même les premiers principes d’une instruction élémentaire, si l’on excepte les almées, qui, vivant en dehors de la société, ont besoin, pour y entrer à un prix quelconque, de rehausser par les graces de leur esprit les charmes de leur personne. La Chine, qui ne compte qu’une lettrée célèbre, doit à ses courtisanes bien des drames réimprimés dans les collections choisies ; et les chants érotiques, les élégies passionnées qui retentissent au son des instrumens dans les palais et les salons des nababs et des riches, les pantomimes si vives, si dramatiques parfois, qui tiennent en suspens tant de graves personnages accroupis sur de somptueux coussins, les jeux scéniques en honneur sur les bords du Gange et de l’Indus, sont souvent l’ouvrage des bayadères qui les exécutent. Aussi voit-on de toutes petites filles, destinées par leur naissance à cet humiliant métier, s’asseoir à côté des jeunes garçons, le livre à la main, dans ces écoles à peu près en plein air, où le vieux maître range ses élèves sous la galerie de sa maisonnette, à l’ombre de quelques mauvaises nattes percées. Ce fut sans doute ainsi que se forma la fameuse courtisane Môti ; elle a laissé des vers spirituels et gracieux ; son nom a survécu à sa fragile beauté, tant dans ses propres poésies que dans celles d’un jeune écrivain, Mirza-Mactoul, qui lui voua un fidèle amour, et lui consacra des stances dans lesquelles le mot môti (perle) revient, selon le rhythme, à des intervalles égaux, comme les brillans semés au pan de la robe de la danseuse.

En recueillant ainsi les noms de ceux et de celles que leur posi-