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rateurs hindous et musulmans, et à les entendre lire leurs vers ; il voulut lui-même prendre rang parmi les hommes distingués qu’il attirait à sa cour par ses faveurs ; on cite surtout de ce monarque deux pièces qui sont devenues des chants populaires. Le biographe Moushafi a caractérisé son talent poétique par cette sentence arabe qui n’est peut-être pas d’une vérité bien absolue : « Les discours des rois sont les rois des discours ! » Mais on est moins choqué d’une pareille flatterie quand on songe qu’elle s’adresse à un prince à qui la fortune a donné de si terribles leçons. Il disait lui-même dans un de ses refrains : « Je passe le matin avec la coupe, le soir avec ma bien-aimée. Dieu seul sait ce qui doit arriver ! » ce qui est moins d’un sofi que d’un épicurien. Le nabab d’Oude, Açaf-Ud-doullah, accueillit avec égards les écrivains chassés de Delhi par les désastres dont cette capitale devint le théâtre vers 1775, et ne fut pas le dernier en mérite dans cette pléiade de poètes expatriés qui donnèrent à sa cour un nouveau lustre. Deux rois de Golconde se sont fait remarquer aussi à des époques diverses par leur talent dans l’art d’écrire. L’un, Kouli-Coutb-Shah, qui régnait il y a près de trois siècles, est auteur d’un grand nombre de poésies recueillies à la manière européenne, sous forme d’œuvres complètes, en un gros volume qui, après la ruine de ce royaume conquis par Aurang-Zeb, disparut pour reparaître plus tard dans la bibliothèque de Tipou, où il ne devait pas rester long-temps. L’autre, Aboulhaçain-Shah, le dernier de la dynastie, rimait avec grace et facilité sur le trône chancelant d’où l’empereur mogol le précipita dans une prison qui devint son tombeau. Avec les deux fils du nabab Ashraf-Khan, forcés de fuir Delhi et de se retirer à Bénarès, cette Rome de l’Inde où les têtes découronnées trouvent toutes un asile, tant l’idée du pouvoir temporel s’efface devant les souvenirs religieux de l’antique cité, avec ces deux jeunes gens résignés à chercher une consolation dans la pratique des lettres, nous citerons encore Soulaiman Shikoh, grand-oncle du souverain actuel de Delhi. Après avoir traîné ses ennuis à Laknaw, à la cour de son frère Akbar II, il mourut à Agra en 1838, laissant, sinon à la postérité, du moins dans la bibliothèque du Nizam, un recueil probablement trop vanté par les biographes. Enfin Tipou, qui fut sans doute trop grand sabreur pour être bon poète, a écrit, dit-on, dans le dialecte du sud son volume complet, son diwan de chants détachés et d’élégies. On a encore de lui deux ouvrages rédigés en langue persane, dont l’un, le Zabardjab, traité d’astrologie, rentre mieux dans le caractère de Tipou, car les conqué-