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DE LA LITTÉRATURE MUSULMANE DE L’INDE.

vains qui se visitaient d’une province à l’autre, s’adressaient mutuellement leurs vers, et se consultaient sans orgueil sur les subtilités de l’art poétique. Les souverains de l’Inde des deux religions tenaient et tiennent encore à honneur de protéger les lettres et de posséder des bibliothèques, d’autant plus précieuses qu’elles consistent en manuscrits. C’est en partie de leurs dépouilles que se sont formées celles dont se glorifient à juste titre les sociétés asiatiques de Calcutta, de Bombay, de Madras, ainsi que la plus riche de toutes, celle de l’East-India-House à Londres. L’auteur de l’Histoire des Mahrattes a puisé les matériaux de son beau travail dans la collection du radja de Satara, et les précieuses chroniques soigneusement conservées dans les archives des petits princes de la confédération des Radjapoutes ont fourni au colonel Todd les élémens de ses importantes Annales du Radjasthan. Sous le règne de Mouhammad-Shah (vers 1710), le radja Djaïsing de Djaïpour faisait traduire en sanscrit les Élémens d’Euclide, et demandait aux gouverneurs de France et de Portugal de lui envoyer des savans. La reine de Cannanore, d’origine arabe, qui régit des états dont on ferait le tour à pied en moins d’une journée, a, comme les rois ses voisins, comme le puissant Nizam lui-même, ses manuscrits sur feuille d’ôle, ses livres en langues diverses écrits au poinçon et avec la plume de roseau. Les musulmans de la côte de Coromandel parlent avec emphase des richesses accumulées dans la bibliothèque du nabab d’Arcot, pauvre prince qui a défense de sortir de son palais de Madras et de paraître dans sa capitale, roi déchu que l’artillerie anglaise salue de vingt-un coups de canon quand il va rendre visite au gouverneur, et qui partage ses loisirs entre ses femmes, ses éléphans et son astrologue. Tipou-Saheb se permit d’avoir son poète lauréat (Haçan-Ali), qui a laissé, sous le titre de Fath-Nama (livre de la Victoire), le récit de ses guerres avec les Mahrattes et le Nizam d’Haïderabad. Un autre écrivain rima, à l’occasion du mariage de ce sultan, un petit poème dont la copie, richement reliée, se trouve aujourd’hui dans la bibliothèque de Calcutta, où elle est allée se perdre avec bien d’autres livres, quand les états du Mysore furent absorbés dans les possessions de la compagnie des Indes.

Une autre preuve du goût que les souverains de l’Inde ont toujours eu pour les lettres, c’est le nombre assez considérable de ceux qui ont laissé des écrits. Le grand-mogol Shah-Alam II (qui régna de 1761 à 1806), aïeul du prince assis maintenant sur le trône nominal de Delhi, se plaisait à réunir autour de sa personne les litté-