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eut mis fin à la dynastie afghane, on vit cet idiome, flottant pour ainsi dire à la surface du vaste empire mogol, pénétrer dans les masses par l’effet d’une conquête mieux établie, s’infiltrer dans les vice-royautés les plus reculées par les gouverneurs et par l’armée ; et tandis qu’il rayonnait ainsi, avec une intensité croissante, du centre de l’Hindostan vers les extrémités des provinces, les dynasties mahométanes qui s’établissaient successivement dans le sud, sur les bords de la Nerbouddah, contribuaient encore à le populariser. Surate eut ses poètes, son école littéraire, comme Delhi, comme Agra, comme Laknaw, et la nationalité hindoue, attaquée de deux côtés, s’affaiblit plus rapidement encore. Aussi, vers le commencement du XVIIe siècle, la littérature musulmane avait-elle acquis dans l’Inde son entier développement ; on eût dit que les empereurs mogols voulaient faire revivre sur les bords de la Jamouna quelque chose du souvenir des khalifes ; tenant sans doute à faire oublier leur origine un peu barbare, ils abandonnèrent peu à peu le dialecte turc-jaghataï, dans lequel Baber avait rédigé ses mémoires, et qui était celui dont on se servait à la cour. Dans une capitale si splendide, siége d’un empire immense, autour de ce trône d’or où brillait l’asile du monde, le roi des rois, il fallait des poètes, et il s’en trouva. Akbar, assez tolérant pour un sectateur de Mahomet, donna l’élan ; il comprit qu’une dynastie ne doit pas rester étrangère par le langage à la nation qu’elle gouverne. D’une part, il encouragea les littérateurs musulmans à s’approprier les ouvrages persans, à les faire passer dans leur langue ; de l’autre, il favorisa les écrivains hindous rebelles à la croyance nouvelle et à l’idiome qui en était l’organe. D’ailleurs, ce grand prince avait près de lui Aboulfazil, qui, après avoir pris part à ses travaux comme ministre, se fit aussi son chroniqueur ; ce fut à lui qu’il confia, conjointement avec quatre autres personnages distingués du temps (parmi lesquels on compte deux écrivains attachés à la foi brahmanique), la traduction des tables astronomiques d’Oulough-Beg. Aurang-Zeb, abhorré des Hindous, qu’il persécutait, et particulièrement des Mahrattes, qui se vengèrent sur ses successeurs de son odieuse tyrannie, eut un règne heureux et brillant, à la faveur duquel la langue musulmane prit une nouvelle consistance, et s’introduisit par le secours des armes dans plus d’une province à l’ouest de la presqu’île.

Ce qui se passait autour du palais des empereurs se reproduisait dans de moindres proportions auprès des vice-rois et des nababs indépendans. Chaque petite cour musulmane abritait son groupe d’écri-